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À la corde (logement)

France, 1907 : Abri de nuit où les clients n’ont pour tout oreiller qu’une corde tendue que l’on détend au matin.

Dans Paris qui dort, Louis Bloch et Sagari donnent des détails fort intéressants sur les pauvres diables qui n’ont pas de gite :
Parmi les vagabonds, les uns couchent en plein air, les autres sous un toit hospitalier. Suivons d’abord ces derniers : les garnis ne leur manquent pas à Paris ; la rue des Vertus, près de la rue Réaumur, leur en offre un certain nombre, parmi lesquels il faut citer : Au perchoir sans pareil, À l’arche de Noé, À l’Assurance contre la pluie, Au Parot salutaire, Au Lit, dors (au lit d’or), Au Temple du sommeil, Au Dieu Morphée, Au Matelas épatant. Ce dernier garni est ainsi appelé parce que les matelas étaient garnis de paille de maïs, et qu’un matelas, mais un seul, était véritablement bourré de laine. Il est vrai qu’il n’avait pas été cardé depuis le règne de Louis XIII.
Ces garnis sont aristocratiques à côté de ceux à la corde que l’on trouve rue Brisemiche, Pierre-au-Lard, Maubuée, Beaubourg, et, sur la rive gauche, dans les quartiers Maubert et Mouffetard. Il y a là des grabats à six sous sur lesquels on peut rester couché toute la nuit, des grabats à quatre sous sur lesquels on ne peut dormir que jusqu’à quatre heures du matin ; enfin la dernière catégorie de clients paye deux sous et même un sou avec le droit de dormir une heure ou deux.
Des garnis, il y en a de toute espèce et de tout genre ; les auteurs de Paris qui dort nous disent qu’il en existe dix mille dans la capitale. Mais tout le monde ne peut, hélas ! se payer le luxe de coucher à couvert. Aussi les fours à plâtre, les carrières, les quais de la Seine sous les ponts, les bancs des promenades publiques, les arbres mêmes sont transformés en dortoirs. Il n’y a pas d’accident de terrain, de tranchées ouvertes, de constructions délaissées, de cavités abandonnées qui ne deviennent pas un asile improvisé : on a souvent trouvé des vagabonds dans les énormes tuyaux en fer bitumé posés sur la voie publique pendant l’exécution des travaux d’égout. Les pauvres diables se couchent là sur de la paille trouvée ou volée et passent tranquillement la nuit sans souci des courants d’air.
Mais c’est encore les carrières qui reçoivent le plus grand nombre de clients.

(Mot d’Ordre)

À la coule (être)

France, 1907 : Être au fait d’une chose, la connaître.

S’il avait été au courant, à la coule, il aurait su que le premier truc du camelot, c’est de s’établir au cœur même de la foule.

(Jean Richepin)

Aboyeur

d’Hautel, 1808 : Terme de mépris, nom que l’on donne aux crieurs des rues, et généralement à ces hommes qui n’ont sans cesse à la bouche que des injures et des obscénités. Ce mot servoit aussi, pendant la révolution, à désigner les esprits exaspérés que les chefs de parti mettoient en ayant, pour exciter le peuple à l’insubordination et à la révolte.

Vidocq, 1837 : s. m. — Celui qui dans une prison est chargé d’appeler les prisonniers demandés au parloir.

Delvau, 1866 : s. m. Crieur public ou particulier qui se tient dans les marchés ou à la porte des théâtres forains.

Rigaud, 1881 : Employé chargé, dans une prison, d’appeler les prisonniers au parloir. — Individu qui crie des imprimés dans les rues. — Crieur dans les ventes publiques, dans les bals de barrière, devant la porte de certains bazars. À l’Hôtel Drouot, le célèbre Jean, de grimaçante mémoire, est resté comme le type du parfait aboyeur. — Dans les réunions publiques, les aboyeurs sont ceux qui empêchent par leurs cris l’orateur de parler ou de continuer.

(Le Sublime)

La Rue, 1894 : Crieur dans les bazars, les ventes publiques ou dans les rues. Dans les prisons, le détenu qui appelle les prisonniers.

Virmaître, 1894 : Nom donné dans les prisons à l’auxiliaire chargé d’appeler les détenus à voix haute pour le greffe ou pour l’instruction. Ce nom est également donné aux crieurs qui, dans les ventes publiques, aboient la mise à prix des objets à adjuger (Argot des voleurs).

Rossignol, 1901 : Détenu chargé d’appeler par un acoustique les prisonniers qui sont dans la salle commune du dépôt, pour aller soit au greffe, soit à l’instruction.

France, 1907 : Crieur, qui se tient aux portes des ventes publiques ou privées, ou devant les théâtres forains pour appeler les clients. On nomme également ainsi les journalistes qui aboient constamment dans la presse contre les hommes publics ou les personnalités en vue.

Accrocher son paletot

Virmaître, 1894 : Voleur qui, chez le juge d’instruction, farde la vérité. Mot à mot : Mentir (Argot des voleurs). N.

Ah !

d’Hautel, 1808 : Cette interjection, construite avec le négatif non, produit un jeu de mot désagréable (ânon). Il faut avoir soin d’éviter cette construction en parlant comme il arrive quelquefois dans cette phrase : ah ! non, certainement, etc.

Aller à Niort

un détenu, 1846 : Ne rien dire, se taire, garder le silence.

Delvau, 1866 : v. a. Nier, — dans l’argot des voleurs, qui semblent avoir lu les Contes d’Eutrapel.

Virmaître, 1894 : Nier. Recommandation qu’ont soin de faire les voleurs à leurs complices quand ils vont à l’instruction. Ils se souviennent du mot du boucher Avinain qui, la tête sous le couteau, cria : N’avouez jamais (Argot des voleurs).

Rossignol, 1901 : Faire l’ignorant.

Un voleur qui ne veut rien avouer, s’il fait l’ignorant ou semblant de ne pas comprendre ce qu’on lui dit, va à Niort.

Hayard, 1907 : Nier, ignorer.

France, 1907 : Nier. Suivre le dernier avis d’Avinain : « N’avouez jamais. » Cette expression vient des contes d’Eutrapel et n’est guère plus employée que par les voleurs. On trouve dans Vidocq : « S’il va à Niort, il faut lui riffauder les paturons » (S’il nie il faut lui brûler les pieds).

Allumeur

Delvau, 1866 : s. m. Compère, homme qui fait de fausses enchères, — dans l’argot des habitués de l’hôtel Drouot.

Rigaud, 1881 : Entraîneur, compère dans les bazars, les ventes publiques, les théâtres forains.

Les allumeurs sont des employés aux gages des saltimbanques, qui entraînent le public à leur suite, en donnant l’exemple.

(G. Escudier, Les Saltimbanques)

Exploiteur du public crédule,
Fripons exerçant leurs talents,
Depuis la fausse somnambule
Jusqu’à l’allumeur de chalands.

(A. Pommier, Paris, 1867)

Rigaud, 1881 : Juge d’instruction, dans le jargon des voleurs. Il éclaire l’affaire, il porte la lumière sur l’affaire.

Fustier, 1889 : Voleur. Les allumeurs ont pour mission de racoler les ouvriers les samedis de paye et de les emmener chez le marchand de vin. Là, ils leur offrent libéralement à boire jusqu’à ce que les malheureux rentrent chez eux complètement ivres. Alors commence le rôle des meneuses et des travailleurs. V. ces mots. — Grec dont les fonctions consistent à mettre une partie en train.

Maintenant les deux allumeurs qui se trouvent mêlés à la partie reçoivent également une subvention.

(Gil Blas, 29 mars 1882)

La Rue, 1894 : Juge d’instruction. Compère des saltimbanques qui entraine le public en donnant l’exemple d’entrer.

Virmaître, 1894 : Agent provocateur chargé d’organiser un complot politique quand le gouvernement a besoin d’effrayer la population pour faire voter une loi réactionnaire. On en trouve un curieux exemple dans les Mémoires de Claude, à propos de l’Internationale et des allumeurs de la rue des Gravilliers. (Argot du peuple).

Hayard, 1907 : Agent provocateur.

France, 1907 : Aiglefin qui pousse à la boisson les ouvriers au jour de paye et, lorsqu’ils sont ivres, les fait voler par ses complices males ou femelles.

Au jour dit, nos trois gaillards sont venus dans un cabinet du restaurant en question et, après le dîner, l’allumeur, qui attend un peu de confiture, propose un écarté, qui est accepté.

(Gil Blas)

Archisuppôt de l’argot

France, 1907 : Haut dignitaire de l’ancienne truanderie.

Les archisuppôts sont ceux que les Grecs appellent philosophes, les Hébreux scribes, les Latins sages, les Égyptiens prophètes, les Indiens gymnosophistes, les Assyriens chaldéens, les Gaulois druides, les Perses mages, les Français docteurs. En un mot, ce sont les plus savants, les plus habiles marpeaux de toutine l’argot, qui sont des écoliers débauchés, et quelques ratichons, de ces coureurs qui enseignent le jargon à rouscailler bigorne, qui ôtent, retranchent et réforment l’argot ainsi qu’ils veulent, et ont aussi puissance de trucher sur le toutine sans ficher quelque floutière.

(Langage de l’argot réformé)

Argot, arguche

Larchey, 1865 : Diminutifs d’argue. Ruse, finesse. V. Roquefort. — L’argot n’est en effet qu’une ruse de langage. V. Truche.

Arnaque

Halbert, 1849 : Agent de sûreté.

Virmaître, 1894 : Nom d’un jeu qui se joue sur la voie publique et sur les boulevards extérieurs ; il est connu également sous le nom de tourne-vire. Ce jeu consiste en une roue posée à plat sur un pivot, la table est composée de trois planches mobiles, supportées par deux tréteaux ; ces planches sont recouvertes d’une toile cirée ; cette toile est divisée en carrés qui forment cases, ces cases se distinguent par des emblèmes différents, les quatre rois : trèfle, cœur, pique et carreau, une ancre, un cœur, un dé et un soleil. Les joueurs misent sur une case, la roue tourne et celui qui gagne reçoit dix fois sa mise. En évidence, sur la table, il y a des paquets de tabac, des cigares, des pipes et autres objets, mais c’est pour la frime, le tenancier du jeu paie le gagnant en monnaie. Ce jeu est un vol. Autour de la table, il y a toujours deux ou trois engayeurs, ils sont de préférence à chaque bout (la table est un carré long) ; au moment ou la plume va s’arrêter sur une case, par un mouvement imperceptible, un des engayeurs s’appuie sur la planche mobile du milieu, la plume dévie et le tour est joué ; si c’est un engayeur qui gagne, il partage avec ses complices (Argot des camelots). N.

Rossignol, 1901 : Veut dire truc. Les jeux de hasard tels que : La boule Orientale, le billard à cheminée, le billard américain, la jarretière, la ratière, le malo ou mal au ventre, sont arnaqués parce qu’il y a des trucs qui empêchent de gagner.

Assassin

d’Hautel, 1808 : Le peuple dit Assassineur. Si un littérateur distingué, avance dans une Néologie dont il est l’auteur, que l’on doit dire assassinateur, assassinement, pourquoi ne seroit-il pas permis au peuple, privé des ressources de l’étude et de l’instruction, de dire tout simplement assassineur ?
Un assassineur de morts.
Terme de dérision, pour dire un bravache, un fanfaron, un enfonceur de portes ouvertes.

France, 1907 : Adversaire politique ou religieux ; homme qui ne pense pas comme vous.

L’abbé Grégoire, le conventionnel, écrivait un jour à l’un de des collègues :
— Venez donc dîner demain chez moi. Hier, à la tribune, vous m’avez appelé assassin. Mais, en politique, on sait qu’un assassin est un homme qui n’a pas les mêmes opinions que vous.

Attrape-science

Delvau, 1866 : s. m. Apprenti, — dans l’argot des typographes.

Rigaud, 1881 : Apprenti cordonnier. Pour laver la tête à l’apprenti, les ouvriers la lui plongent plus d’une fois dans le baquet de science, le baquet où trempent les cuirs.

Boutmy, 1883 : s. m. Nom ironique par lequel les ouvriers désignent quelquefois un apprenti compositeur. L’attrape-science est l’embryon du typographe ; la métamorphose demande trois à quatre ans pour s’accomplir ; vers seize ou dix-sept ans, la chrysalide est devenue papillon, et le gamin s’est fait ouvrier. À l’atelier, il a une certaine importance : c’est le factotum des compositeurs ; il va chercher le tabac et fait passer clandestinement la chopine ou le litre qui sera bu derrière un rang par quelque compagnon altéré. Il va chez les auteurs porter les épreuves et fait, en général, plus de courses que de pâté. Quand il a le temps, on lui fait ranger les interlignes ou trier quelque vieille fonte ; ou bien encore il est employé à tenir la copie au correcteur en première, besogne pour laquelle il montre d’ordinaire une grande répugnance. Parfois victime des sortes de l’atelier, il en est aussi le complice ou le metteur en œuvre. Il nous revient en mémoire une anecdote dont le héros fut un apprenti. Ses parents habitant dans un faubourg, notre aspirant Gutenberg apportait à l’atelier sa fripe quotidienne, dont faisait souvent partie une belle pomme. Le gaillard, qui était un gourmet, avait soin de la faire cuire en la plaçant sur un coin du poële. Mais plus d’une fois, hélas ! avant d’être cuite, la pomme avait disparu, et notre apprenti faisait retentir les échos de ses plaintes amères : « Ma pomme ! on a chipé ma pomme ! » La chose s’étant renouvelée plus souvent que de raison, l’enfant s’avisa d’un moyen pour découvrir le voleur. Un beau jour, il apporta une maîtresse pomme qu’il mit cuire sur le poêle. Comme le gamin s’y attendait, elle disparut. Au moment où il criait à tue-tête : « On a chipé ma pomme ! » on vit un grand diable cracher avec dégoût ; ses longues moustaches blondes étaient enduites d’un liquide noirâtre et gluant, et il avait la bouche remplie de ce même liquide. C’était le chipeur qui se trouvait pris à une ruse de l’apprenti : celui-ci avait creusé l’intérieur de sa pomme et avait adroitement substitué à la partie enlevée un amalgame de colle de pâte, d’encre d’imprimerie, etc. L’amateur de pommes, devenu la risée de l’atelier, dut abandonner la place, et jamais sans doute il ne s’est frotté depuis à l’attrape-science. Certains apprentis, vrais gamins de Paris, sont pétris de ruses et féconds en ressources. L’un d’eux, pour garder sa banque (car l’attrape-science reçoit une banque qui varie entre 1 franc et 10 francs par quinzaine), employa un moyen très blâmable à coup sûr, mais vraiment audacieux. Il avait eu beau prétendre qu’il ne gagnait rien, inventer chaque semaine de nouveaux trucs, feindre de nouveaux accidents, énumérer les nombreuses espaces fines qu’il avait cassées, les formes qu’il avait mises en pâte, rien n’avait réussi : la mère avait fait la sourde oreille, et refusait de le nourrir plus longtemps s’il ne rapportait son argent à la maison. Comment s’y prendre pour dîner et ne rien donner ? Un jour d’été qu’il passait sur le pont Neuf, une idée lumineuse surgit dans son esprit : il grimpe sur le parapet, puis se laisse choir comme par accident au beau milieu du fleuve, qui se referme sur lui. Les badauds accourent, un bateau se détache de la rive et le gamin est repêché. Comme il ne donne pas signe de vie, on le déshabille, on le frictionne, et, quand il a repris ses sens, on le reconduit chez sa mère, à laquelle il laisse entendre que, de désespoir, il s’est jeté à l’eau. La brave femme ajouta foi au récit de son enfant, et jamais plus ne lui parla de banque. Le drôle avait spéculé sur la tendresse maternelle : il nageait comme un poisson et avait trompé par sa noyade simulée les badauds, ses sauveurs et sa mère. — Nous retrouverons cet attrape-science grandi et moribond à l’article LAPIN. À l’Imprimerie nationale, les apprentis sont désignés sous le nom d’élèves. Il en est de même dans quelques grandes maisons de la ville.

France, 1907 : Apprenti, dans l’argot des typographes.

Autor (jouer d’)

France, 1907 : Apocope d’autorité. Faire quelque chose d’autor, agir délibérément et péremptoirement.

— Dis donc, fourline, la première fois que nous trouverons la Pégriotte, faut l’emmener d’autor.

(Eugène Sue)

Être d’aplomb, d’autor, de taille
À ne jamais perdre bataille
Dans la rue aussi bien qu’au pieu ;
Tous ces trucs, si tu te figures
Que ce sont là des sinécures,
Ah ! fichtre ! Ah ! foutre ! Ah ! nom de Dieu !

(Jean Richepin)

Autruche

d’Hautel, 1808 : Un estomac d’autruche. Estomac complaisant qui digère avec promptitude et facilité toutes sortes d’alimens : tel est ordinairement celui des parasites et des épicuriens.

Avoir du truc

Larchey, 1865 : Avoir un caractère ingénieux.

Balle

d’Hautel, 1808 : Enfans de la balle. Ceux qui suivent la profession de leurs pères. On désigne aussi sous ce nom et par mépris, les enfans d’un teneur de tripot.
Il est chargé à balle. Manière exagérée de dire qu’un homme a beaucoup mangé ; qu’il crève dans sa peau.
Il y va balle en bouche, mèche allumée. Pour il n’y va pas de main morte ; il mène les affaires rondement.

d’Hautel, 1808 : Ustensile d’imprimerie qui sert à enduire les formes d’encre.
Démonter ses balles. Expression technique : au propre, l’action que font les imprimeurs lorsqu’ils mettent bas, et qui consiste à détacher les cuirs cloués au bois des balles. Au figuré, et parmi les ouvriers de cette profession, cette phrase signifie s’en aller en langueur ; dépérir à vue d’œil, approcher du terme de sa carrière.

anon., 1827 : Franc.

Raban et Saint-Hilaire, 1829 : Franc (vingt sous).

Bras-de-Fer, 1829 : Franc.

un détenu, 1846 : Un franc, pièce de vingt sous.

Halbert, 1849 : Une livre ou un franc.

Larchey, 1865 : Tête. — Comme Boule et Coloquinte, balle est une allusion à la rondeur de la tête. Une bonne balle est une tête ridicule. Une rude balle est une tête énergique et caractérisée.

Une balle d’amour est une jolie figure.

(Vidocq)

Être rond comme une balle, c’est avoir bu et mangé avec excès. Balle : Franc. — Allusion à la forme ronde d’une pièce de monnaie.

Je les ai payées 200 fr. — Deux cents balles, fichtre !

(De Goncourt)

Balle de coton : Un coup de poing. — Allusion aux gants rembourrés des boxeurs.

Il lui allonge sa balle de coton, donc qu’il lui relève le nez et lui crève un œil.

(La Correctionnelle)

Delvau, 1866 : s. f. Occasion, affaire, — dans l’argot du peuple. C’était bien ma balle. C’était bien ce qui me convenait. Manquer sa balle. Perdre une occasion favorable.

Delvau, 1866 : s. f. Pièce d’un franc, — dans l’argot des faubouriens.

Delvau, 1866 : s. f. Secret, — dans l’argot des voleurs.

Delvau, 1866 : s. f. Visage, — dans l’argot des voyoux. Balle d’amour. Physionomie agréable, faite pour inspirer des sentiments tendres. Rude balle. Visage caractéristique.

Rigaud, 1881 : Ballet.

Rigaud, 1881 : Figure, tête, physionomie.

Oh c’tte balle !

(Th. Gautier, Les Jeunes-France)

Rigaud, 1881 : Occasion. Rater sa balle, manquer une bonne occasion.

Rigaud, 1881 : Pièce d’un franc. Une balle, un franc. Cinq balles, cinq francs.

Rigaud, 1881 : Secret.

S’il crompe sa Madeleine, il aura ma balle (s’il sauve sa Madeleine, il aura mon secret.)

(Balzac)

Mot à mot ; ce qui est caché dans ma balle, dans ma tête. — Faire la balle de quelqu’un, suivre les instructions de quelqu’un.

Fais sa balle, dit Fil-de-Soie.

(Balzac, La Dernière incarnation)

La Rue, 1894 : Secret. Physionomie. Pièce d’un franc. Occasion.

Virmaître, 1894 : Celle femme me botte, elle fait ma balle (Argot du peuple). V. Blot.

Rossignol, 1901 : Chose qui convient qui plaît, qui fait l’affaire.

ça fait ma balle.

Rossignol, 1901 : Visage, celui qui a une bonne figure a une bonne balle.

France, 1907 : Pièce d’un franc. Blafard de cinq balles, pièce de cinq francs.

France, 1907 : Secret, affaire, occasion. Cela fait ma balle, cela me convient.

— C’est pas tout ça, il faut jouer la pièce de Vidocq enfoncé après avoir vendu ses frères comme Joseph.
Vidocq ne savait trop que penser de cette singulière boutade ; cependant, sans se déconcerter, il s’écria tout à coup :
— C’est moi qui ferai Vidocq. On dit qu’il est très gros, ça fera ma balle.

(Marc Mario et Louis Launay, Vidocq)

Manquer sa balle, manquer une occasion ; faire balle, être à jeun.

Les forçats ne sont pas dégoûtés et quelques taches dans un quart de pain ne sont pas pour faire reculer un fagot de bon appétit et qui fait balle.

(Alphonse Humbert)

On dit aussi dans le même sens : Faire balle élastique.

J’avais fait la balle élastique tout mon saoul.

(Henri Rochefort)

Faire la balle, agir suivant des instructions ; enfant de la balle, enfant élevé dans le métier de son père ; rond comme une balle, complètement ivre.

France, 1907 : Tête, figure. Balle d’amour, beau garçon, argot des filles ; rude balle, contenance énergique ; bonne balle, figure sympathique ou grotesque ; balle de coton, coup de poing.

Balle (faire la)

La Rue, 1894 : Suivre les instructions données, Signifie aussi convenir : cela fait ma balle, cela me convient.

Banque

Delvau, 1866 : s. f. Escroquerie, ou seulement mensonge afin de tromper, — dans l’argot du peuple, qui connaît son Robert Macaire par cœur. Faire une banque. Imaginer un expédient — d’une honnêteté douteuse — pour gagner de l’argent.

Delvau, 1866 : s. f. Paye, — dans l’argot des typographes.

Delvau, 1866 : s. f. Tout le monde des saltimbanques, des banquistes. Truc de banque ! Mot de passe et de ralliement qui sert d’entrée gratuite aux artistes forains dans les baraques de leurs confrères. On les dispense de donner à la quête faite par les banquistes d’une autre spécialité que la leur.

Rigaud, 1881 : Association entre escrocs. Art de flouer son prochain. Faire une banque, combiner une escroquerie.

Rigaud, 1881 : Métier du saltimbanque.

Rigaud, 1881 : Paye des ouvriers typographes.

Rigaud, 1881 : Ruse, frime.

C’est une banque.

(Scribe, L’honneur de ma fille, 1836)

Rigaud, 1881 : Troupe de théâtre, — dans l’ancien, argot des comédiens.

Le gonze qui est à votre ordre est-il de la banque ? Celui qui est à côté de vous est-il un comédien ?

(Mémoires de Dumesnil)

Boutmy, 1883 : s. f. Paye des ouvriers. Le prote fait la banque aux metteurs en pages, qui à leur tour la font aux paquetiers. Ce mot entre dans plusieurs locutions. Par exemple on dit : La banque a fouaillé, pour indiquer que le patron n’a pas payé au jour dit. Être bloqué à la banque, c’est ne rien recevoir. Faire banque blèche s’emploie dans le même sens.

La Rue, 1894 : Troupe de théâtre. Métier de saltimbanque. Ruse, frime. Paye des ouvriers typographes. Association entre voleurs : Faire une banque, être de la banque.

Virmaître, 1894 : Les voleurs qui se partagent le produit d’un vol emploient cette expression (Argot des voleurs).

Rossignol, 1901 : Les forains propriétaires des grandes baraques, Pezon, Bidel, Marquetti, Corvi, sont ce que l’on nomme dans les fêtes la Banque, parce qu’ils sont riches.

France, 1907 : Escroquerie, duperie ; paiement, dans l’argot des ouvriers imprimeurs ; réunion de saltimbanques. Être de la banque, faire partie d’une bande d’escrocs ; faire la banque, allécher le client ; faire une banque, imaginer, préparer une escroquerie. Tailler une banque, tenir les cartes au baccara.

Battre comtois

anon., 1827 : Faire le niais, l’imbécile.

Bras-de-Fer, 1829 : Faire le niais.

Vidocq, 1837 : v. a. — Servir de compère à un marchand ambulant.

Delvau, 1866 : v. n. Faire l’imbécile, le provincial, — dans l’argot des voleurs, pour qui, à ce qu’il paraît, les habitants de la Franche-Comté sont des gens simples et naïfs, faciles à tromper par conséquent.

Rigaud, 1881 : Servir de compère, — dans le même jargon (des saltimbanques). — Prêcher le faux pour savoir le vrai, — dans le jargon des voleurs.

La Rue, 1894 : Service de compère. Dire le faux pour savoir le vrai. Mentir.

Virmaître, 1894 : Un compère bat comtois en demandant un gant devant une baraque de lutteur. Les spectateurs le prennent pour un adversaire sérieux : dans l’arène il se laisse tomber. Un accusé bat comtois en feignant de ne pas comprendre les questions du juge d’instruction. Une femme bat comtois lorsqu’elle vient de coucher avec son amant et qu’elle jure à son mari en rentrant qu’elle lui est fidèle (Argot du peuple).

Rossignol, 1901 : Faire semblant d’ignorer une chose que l’on sait est battre comtois. Dans les fêtes, aux abords des baraques de lutteurs, il y a toujours des spectateurs qui demandent un gant ou caleçon pour lutter avec le plus fort de la troupe ; on s’imagine que c’est un adversaire sérieux, mais ce n’est qu’un compère qui bat comtois, et qui se laisse toujours tomber pour avoir sa revanche à la représentation suivante afin d’attirer le public. Un voleur bat comtois lorsqu’il ne veut pas comprendre les questions qu’on lui fait et ne dit pas ce qu’il pense. Une femme bat comtois lorsqu’elle fait des infidélités à son homme et qu’elle jure qu’elle lui est fidèle.

Hayard, 1907 : Faire le compère.

France, 1907 : Faire l’imbécile, dans l’argot des voleurs, pour lesquels, suivant Delvau, les habitants de Franche-Comté sont des gens simples et naïfs, faciles à tromper par conséquent.

Battre un dig-dig

Virmaître, 1894 : Simuler une fausse attaque d’épilepsie sur la voie publique. L’homme qui pratique ce truc pour donner à l’attaque simulée l’apparence de la vérité, se met préalablement dans la bouche un morceau de savon. En le mâchonnant le savon mousse et lui amène l’écume aux lèvres comme si l’attaque était naturelle. Les batteurs de dig-dig font souvent de fortes recettes (Argot des voleurs).

Bazardement

France, 1907 : Enlèvement, destruction, vente.

Sans être un puits de science, je ne suis pas pourtant l’ignorant passionné que tout homme a le droit d’être par ces temps de doute historique et de bazardement général des traditions.

(Émile Bergerat, Écho de Paris)

Bec

d’Hautel, 1808 : Pour bouche.
Un oiseau à gros bec, Sobriquet bas et trivial que l’on donne à un goinfre, à un gourmand ; à un homme grossièrement ignorant.
Se refaire le bec. Prendre un bon repas ; s’en mettre jusqu’au nœud de le gorge.
Donner un coup de bec. Et plus souvent Un coup de patte. Censurer, satiriser quelqu’un ou quelque chose, quand on en trouve l’occasion.
Tenir quelqu’un le bec dans l’eau. L’entretenir de promesses trompeuses ; le tenir dans l’attente l’alternative.
Avoir bon bec. Parler avec trop d’abondance, babiller, caqueter ; en dégoiser.
Avoir bec et ongles. Savoir repousser à propos une injure, soit par paroles, soit par les voies de faits.
Faire le bec à quelqu’un. Lui faire sa leçon ; lui apprendre ce qu’il doit dire ou répondre. Cette manière de parler signifie aussi corrompre quelqu’un ; le soudoyer pour l’engager au secret.
Mener quelqu’un par le bec. En disposer à volonté ; gouverner son esprit, se rendre maître de toutes ses actions.
Passer la plume par le bec à quelqu’un. Le fourber, le tromper, le friponner.

Larchey, 1865 : Bouche. — Casser, chelinguer du bec : Avoir mauvaise haleine. — Rincer le bec : Faire boire. — Faire le bec : Donner des instructions. — Avoir du bec : Être éloquent. — Tortiller du bec : Manger. — River le bec : Faire taire. — Fin bec : Gourmand.

Delvau, 1866 : s. m. Bouche, — dans l’argot des petites dames.

Rigaud, 1881 : Bouche, langue, langage, visage.

Quand ma muse est échauffée, elle n’a pas tant mauvais bec.

(St-Amant)

Passer devant le bec, ne pas participer à. Les bons morceaux lui passent devant le bec. — Trouilloter du bec, sentir mauvais de la bouche. Et les variantes : Schlinguer, puer repousser du bec, — avoir la rue du bec mal pavée, manquer de dents. — Se rincer le bec, boire. River le bec, imposer silence. Taire son bec, ne plus parler.

Voyons M’me Rabat-Joie, tais ton bec !… et qu’on vienne baiser son vainqueur !

(Gavarni)

France, 1907 : Bouche. Rincer le bec à quelqu’un, lui payer à boire ; se rincer le bec, boire ; tortiller du bec, manger ; chelinguer du bec, avoir mauvaise haleine ; avoir la rue du bec mal pavée, avoir les dents mal rangées ; se calfater le bec, manger ou boire, dans l’argot des voleurs ; ourler son bec, finir son travail, argot des matelots ; claquer du bec, n’avoir rien à manger, allusion aux cigognes qui font claquer leur bec lorsque la faim se fait sentir. Bec fin, gourmet ; river le bec, faire taire par des menaces ; taire son bec, cesser de parler ; avoir bon bec, avoir la langue bien pendue.

Prince, aux Dames parisiennes
De bien parler donnez le prix.
Quoi qu’on dise d’Italiennes,
Il n’est bon bec que de Paris.

(François Villon)

Bêcheur

un détenu, 1846 : Le procureur du roi, le ministère public, l’avocat du roi.

Delvau, 1866 : s. m. Le Ministère public, l’Avocat général. Argot des voleurs.

Rigaud, 1881 : Avocat chargé de soutenir l’accusation, — dans le jargon des voleurs.

La Rue, 1894 : Le ministère public. Gascon.

Rossignol, 1901 : Celui qui bêche, Voir bêcher.

France, 1907 : Juge d’instruction ou magistrat chargé du ministère public, dans l’argot des voleurs. On dit aussi avocat bêcheur.

Bête à deux dos (faire la)

Delvau, 1864 : Faire l’acte vénérien, pendant lequel les deux fouteurs, cellés ensemble par le ventre, ont l’air de n’avoir que des dos. — L’expression a de l’usage. Coquillart s’en est servi, Rabelais après lui, et, après Rabelais, Shakespeare — dans la première scène d’Othello :

Your daughter and the Moor are now making the beast with two backs…

On s’en sert toujours avec avantage dans la conservation.

France, 1907 : Faire l’amour ; accomplir l’acte qui perpétue l’espèce humaine. L’expression est de vieille date.

Il est difficile à un auteur dramatique de s’échapper des sujets reconnus d’utilité théâtrale et de pratiquer une conception supérieure au mensonge sempiternel de l’amour et aux variations écœurantes de la bête à deux dos. En vain, nous réclamons, pour l’art dramatique avili, un champ plus vaste et plus haut d’expérience : il semble condamné au bagne de la pornographie macabre, sinistre ou farceuse, aux truculences de la pièce rosse, poncif du Théâtre-Libre, ou aux éjaculations idiotes du Vaudeville.

(Henry Bauër, Les grands Guignols)

… Les rideaux
Sont tirés. L’homme, sur la femme à la renverse,
Lui bave entre les dents, lui met le ventre en perce,
Leurs corps, de par la loi, font la bête à deux dos.

(Jean Richepin, Les Blasphèmes)

Bidonnier

Rossignol, 1901 : Truc importé à Paris par des Lyonnais, qui est maintenant blanchi (connu) ; il n’y en a plus que deux pu trois qui se livrent à ce commerce. Le bidonnier achète trois coupons de 1,10 m de mauvais drap de couleur différente ne valant pas plus de 2 fr. 50 le mètre. Il plie les trois coupons de façon à les intercaler les uns dans les autres, il en parait six du côté apparent ; le derrière est enveloppe dans sa grande blouse bleue, cela constitue le bidon. Il offre sa marchandise pour le prix de 25 francs aux consommateurs à la porte des débits. On le plaisante sur lé prix, c’est ce qu’il cherche, et tout en ayant l’air de se fâcher il répond :

Pourquoi marchander ? vous n’avez pas le sou, je parie que si je vous laisse le paquet pour 12 francs, vous ne le prendrez pas.

Le consommateur se pique d’amour-propre, le marché est conclu, il paye, la marchandise lui est ensuite livrée, c’est alors qu’il s’aperçoit ne pas avoir acheté six coupons, mais trois qui ne valent pas le prix de la façon de trois pantalons ; il est volé, mais il n’y a pas escroquerie, le bidonnier lui a parlé du paquet et non du nombre des coupons.

Hayard, 1907 : Qui vend du bidon.

Bijou artificiel

Delvau, 1864 : Phallus de cuir, — vulgo godemiché.

J’ai des bijoux artificiels
D’une forte structure
Qui, dans les cons superficiels
Remplacent ta nature.

(Chansons anonymes modernes)

Certain bijou, qui d’un sexe chéri
Offre l’image et le trait favori,
Sert de Zoé la langueur amoureuse.

(Parny)

Bisenesse

Rossignol, 1901 : Je crois que ce mot est anglais et signifie occupation ou travail journalier (Business) : Il est très usité par les filles publiques qui au lieu de dire, lorsqu’elles sortent le soir : Je vais trucquer, disent : Je vais faire mon bisenesse ; c’est plus Régence.

Blanchi

Rossignol, 1901 : Chose connue.

C’est un vieux truc, il est blanchi depuis longtemps,

Un avocat blanchit son client.

Boîte

d’Hautel, 1808 : C’est la boîte à la malice. Se dit d’un enfant spirituel, espiègle et malin.
Il semble toujours qu’il sorte d’une boîte. Se dit par ironie d’une personne qui est toujours tirée à quatre épingles ; dont le maintien est roide et affecté.
Dans les petites boîtes les bons onguents. Manière, honnête d’excuser la petitesse de quelqu’un, parce que les choses précieuses font ordinairement peu de volume.
Mettre quelqu’un dans la boîte aux cailloux. Pour le mettre en prison ; le coffrer.

Delvau, 1864 : Sous-entendu : à jouissance, ou bien encore, boîte à pines. Fille publique.

Delvau, 1866 : s. f. Théâtre de peu d’importance, — dans l’argot des comédiens ; bureaux de ministère, — dans l’argot des employés ; bureau de journal, — dans l’argot des gens de lettres ; le magasin ou la boutique, — dans l’argot des commis.

Rigaud, 1881 : Atelier, maison, magasin, établissement quelconque

Dans l’argot domestique, tout ce qui n’est pas une bonne maison est une boîte. Une bonne maison est celle où les maîtres ne sont pas regardants et où l’on peut s’arrondir sans être inquiété.

(Bernadille, Esquisses et Croquis parisiens)

Boutmy, 1883 : s. f. Imprimerie, et particulièrement mauvaise petite imprimerie. C’est une boîte, dit un vieux singe ; il y a toujours mèche, mais hasard ! au bout de la quinzaine banque blèche. Casse. Faire sa boîte, c’est distribuer dans sa casse. Pilleur de boîtes ou fricoteur, celui qui prend, à l’insu et au détriment de ses compagnons, et dans leurs casses, les sortes de caractères les plus courantes dans l’ouvrage qu’il compose, et qui manquent au pilleur ou qu’il a déjà employées. V. Planquer des sortes.

Fustier, 1889 : Argot militaire. Salle de police. Coucher à la boîte, boulotter de la boîte : être souvent puni ; avoir une tête à boîte : être affligé d’une maladresse qui attire sur vous les préférences de l’instructeur. — Grosse boîte, prison.

Rossignol, 1901 : Salle de police. Tous ceux qui ont été militaires ont certainement entendu dire par tous les grades.

Je vais vous flanquer à la boîte.

Rossignol, 1901 : Terme d’employés ou d’ouvriers. Un agent de police qui va à la préfecture va à la boîte. Pour un employé, son magasin est sa boîte ; l’atelier pour l’ouvrier est sa boîte.

France, 1907 : Mauvaise maison, logement où l’on est mal. Aussi ce terme est-il employé pour désigner tout endroit où l’on travaille, ou du moins où l’on est obligé de travailler : pour l’ouvrier, son atelier ou son usine est une boîte ; pour l’employé, c’est son magasin ou son bureau ; pour le domestique, c’est la maison de ses maîtres ; pour l’écolier, c’est la pension, le collège ou l’école.

Pourquoi, en dépit des souffrances endurées, n’éprouve-t-on aucune amertume rancunière contre la boîte, comme nous l’appelions en nos mauvais jours, lorsque les minutes paraissaient si longues ?

(René Maizeroy)

Bouibouis

Hayard, 1907 : Endroit mal famé.

France, 1907 : Même sens que ci-dessus [Boui ou bouis]. Marionnette. Se dit aussi pour tripot, café-concert de bas étage, bordel.

Or, la vocation,
Jointe à l’instruction
Que leur donna leur mère,
Mena les deux tendrons
À commencer leurs ronds
Sur la scène éphémère
D’un modeste bouibouis
Où rare était le louis ;
Mais les gentes minettes
Devaient rapidement
Enflammer quelque amant
Avec leurs allumettes.

(Blédort, Chansons de faubourg)

Boulange

Delvau, 1866 : s. f. Apocope de Boulangerie. Argot des ouvriers.

Rigaud, 1881 : Boulangerie. — Faire dans la boulange, exercer le métier de boulanger.

France, 1907 : Apocope de boulangisme, surnom donné an parti du général Boulanger.

Afin d’sauver la République,
En Mars, avec les fédérés.
J’ai combattu Thiers et sa clique
D’bourgeois voltairiens et d’curés.
Maint’nant c’est la bande à Boulange
Qui sing’ le Seiz’ Mai et son duc.
Si jamais faut cogner c’te fange,
Je r’pique au truc.

(Jules Jouy)

Bouterne

Vidocq, 1837 : s. f. — La Bouterne est une boîte carrée, d’assez grande dimension, garnie de bijoux d’or et d’argent numérotés, et parmi lesquels les badauds ne manquent pas de remarquer la pièce à choisir, qui est ordinairement une superbe montre d’or accompagnée de la chaîne, des cachets, qui peut bien valoir 5 à 600 fr., et que la Bouternière reprend pour cette somme si on la gagne.
Les chances du jeu de la Bouterne, qui est composé de huit dés, sont si bien distribuées, qu’il est presque impossible d’y gagner autre chose que des bagatelles. Pour avoir le droit de choisir parmi toutes les pièces celle qui convient le mieux, il faut amener une râfle des huit dés, ce qui est fort rare ; mais ceux qui tiennent le jeu ont toujours à leur disposition des dés pipés, et ils savent, lorsque cela leur convient, les substituer adroitement aux autres.
Ils peuvent donc, lorsqu’ils croient le moment opportun, faire ce qu’ils nomment un vanage, c’est-à-dire, permettre à celui qu’ils ont jugé devoir se laisser facilement exploiter, de gagner un objet d’une certaine importance ; si on se laisse prendre au piège, on peut perdre à ce jeu des sommes considérables. Le truc de la Bouterne est presque exclusivement exercé par des femmes étroitement liées avec des voleurs ; elles ne manquent jamais d’examiner les lieux dans lesquels elles se trouvent, et s’il y a gras (s’il y a du butin à faire), elles renseignent le mari ou l’amant, qui a bientôt dévalisé la maison. C’est une femme de cette classe qui a indiqué au célèbre voleur Fiancette, dit les Bas-Bleus, le vol qui fut commis au Mans, chez le notaire Fouret. Je tiens les détails de cet article de Fiancette lui-même.
Comme on le pense bien, ce n’est pas dans les grandes villes que s’exerce ce truc, il s’y trouve trop d’yeux clairvoyans ; mais on rencontre à toutes les foires ou fêtes de village des propriétaires de Bouterne. Ils procèdent sous les yeux de MM. les gendarmes, et quelquefois ils ont en poche une permission parfaitement en règle du maire ou de l’adjoint ; cela ne doit pas étonner, s’il est avec le ciel des accommodemens, il doit nécessairement en exister avec les fonctionnaires publics.

Larchey, 1865 : Boîte vitrée où sont exposés, aux foires de villages, les bijoux destinés aux joueurs que la chance favorise. Le jeu se fait au moyen de huit dés pipés au besoin. Il est tenu par une bouternière qui est le plus souvent une femme de voleur. — Vidocq.

Delvau, 1866 : s. f. Boîte carrée d’assez grande dimension, garnie de bijoux d’or et d’argent numérotés, parmi lesquels il y a l’inévitable « pièce à choisir », qui est ordinairement une montre avec sa chaîne, « d’une valeur de 600 francs », que la marchande reprend pour cette somme lorsqu’on la gagne. Mais on ne la gagne jamais, parce que les chances du jeu de la bouterne, composés de huit dés, sont trop habilement distribuées pour cela : les dés sont pipés !

Rigaud, 1881 : Tablette, plateau sur lequel sont exposés les lots destinés à attirer les amateurs de porcelaine, autour des loteries foraines. La bouterne se joue au tourniquet. Il y a de gros lots en vue, que personne ne gagne jamais, naturellement.

France, 1907 : Boîte vitrée où sont exposés, aux foires, les objets, montres ou bijoux destinés à amorcer les amateurs de jeux d’adresse ou de hasard.

Brut

d’Hautel, 1808 : On dit des personnes grossières et sans instructions que Ce sont des bêtes brutes. Cette locution est fort injurieuse.

Buquer

Vidocq, 1837 : v. a. — Voler dans une boutique en demandant de la monnaie. (Voir Careurs).

Larchey, 1865 : Voler dans une boutique en demandant de la monnaie (Vidocq).

Delvau, 1866 : v. n. Voler dans les boutiques sous prétexte d’y demander de la monnaie.

Rigaud, 1881 : Frapper ; pour bûcher.

Vous avez dit dans votre interrogatoire devant M. le juge d’instruction : j’ai buqué avec mon marteau.

(Gazette des Tribunaux du 10 août 1877)

Rigaud, 1881 : Voler en changeant de l’argent.

Virmaître, 1894 : Voleurs qui dévalisent dans les boutiques sous le prétexte de demander de la monnaie (Argot des voleurs).

France, 1907 : Voler dans les boutiques, sous prétexte de demander de la monnaie.

Cabochon

Delvau, 1866 : s. m. Coup reçu sur la tête, ou sur toute autre partie du corps.

Rigaud, 1881 : Caractère d’imprimerie très usé ; vignette effacée, détériorée.

Rigaud, 1881 : Taloche, choc, contusion. — Se cabochonner, se battre.

Rossignol, 1901 : Coup ou blessure.

J’ai reçu un cabochon qui m’a fendu la tête.

France, 1907 : Tête.

— Notre Aline, que nous pensions caser si avantageusement, après la superbe instruction qu’elle a reçue, tous les brevets qu’elle a obtenus, elle ne se marie pas ! aucun épouseur n’apparaît !… C’est bizarre tout de même ! Sa sœur Gabrielle, qui ne pouvait rien apprendre, qui avait le cabochon dur comme une pierre, disait-on, la voilà pourvue, elle !

(Albert Cim, Demoiselles à marier)

Se dit aussi pour coup à la tête : « J’ai reçu un fameux cabochon »

Cabriolet

Vidocq, 1837 : s. m. — Hotte de chiffonnier.

Larchey, 1865 : Chapeau de femme. — Une capote de femme ressemble assez à celle d’un cabriolet.

Delvau, 1866 : s. m. Petit instrument fort ingénieux que les agents de police emploient pour mettre les malfaiteurs qu’ils arrêtent hors d’état de se servir de leurs mains.

Rigaud, 1881 : Corde à nœuds, longue de vingt-cinq centimètres et munie, aux deux extrémités, de deux morceaux de bois. C’est à l’aide de cette corde que les agents de police lient les mains des détenus.

Ainsi nommée parce qu’en la serrant on fait cabrioler le patient.

(F. du Boisgobey)

Rigaud, 1881 : Hotte de chiffonnier, — dans le jargon du peuple.

Fustier, 1889 : Petite boîte servant à classer des fiches.

La Rue, 1894 : Poucettes, lien dont les agents se servent pour tenir les malfaiteurs.

Virmaître, 1894 : Corde de boyau de chat, ou forte ficelle de fouet, terminée par deux chevilles. Les gardes et les agents passent le cabriolet au poignet des prisonniers pour prévenir les évasions et empêcher les récalcitrants de se révolter. (Argot des voleurs).

Rossignol, 1901 : Outil de répression à l’usage des gardes républicains et agents de police. Cet objet se compose d’une chaîne d’environ 20 centimètres terminée à chaque bout par une poignée en bois en forme d’olive assez longue, que l’on met aux détenus quand on les extrait de prison pour les conduire au tribunal ou à l’instruction. Le cabriolet se passe au poignet gauche du détenu pour prévenir l’évasion, et les deux poignées sont tenues par la main droite du garde.

Hayard, 1907 : Entraves au poignet des prisonniers.

France, 1907 : Boîte servant à classer des fiches.

France, 1907 : Sorte de menottes que les agents de police passent aux poignets de ceux qu’ils arrêtent, pour paralyser leurs mouvements. « Cabriolet et ligote, dit Guy Tomel, sont l’alpha et l’oméga des engins d’arrestation. Ils ont remplacé les antiques poucettes avec lesquelles plusieurs générations de gendarmes conduisirent de brigade en brigade les malfaiteurs confiés à leur vigilance. »

« Les affaires sont les affaires », l’homme de police en fonctions ne connait plus personne et se dit : « Le devoir est le devoir… Et ce devoir, quoi qu’il m’en coûte, je le remplirai. » Et paisiblement, comme s’il cherchait son mouchoir, il fouilla dans les basques de sa redingote et en tira trois de ces instruments qu’on appelle, en argot, des cabriolets.
— Des menottes ! s’écrièrent-ils indignés. Vous voulez nous mettre les menottes ?
— J’avoue que c’est mon intention.

(Hector France, La Taverne de l’Éventreur)

Cabriolet se dit aussi ironiquement pour la hotte d’un chiffonnier. Les chapeaux de femmes comme on en voit dans les dessins de Gavarni portaient également ce nom, à cause de leur forme, qui les faisait ressembler à celle d’un cabriolet.

Calot

Larchey, 1865 : Dé à coudre, coquille de noix (Vidocq). — Comparaison de ces objets à la calotte qui est de même forme. — Calot : Teigneux. Mot à mot : ayant une calotte de teigne.

Delvau, 1866 : s. m. Dé à coudre, — dans l’argot des voleurs. Signifie aussi coquille de noix.

Delvau, 1866 : s. m. Grosse bille avec laquelle on cale en jouant, — dans l’argot des enfants.

Rigaud, 1881 : Dé à coudre, parce qu’il a la forme d’une calotte microscopique.

Rigaud, 1881 : Képi, — dans le jargon de Saint-Cyr.

Récompense honnête à qui rapportera le calot 3118.

(La Vie moderne, 30 août 1879)

Rigaud, 1881 : Vieillard, vieille femme ridicule, — dans l’ancien jargon des clercs de notaire.

Quant aux farces d’étude, c’est ordinairement sur de vieilles ganaches, sur ce que les clercs appellent des calots, qu’ils les exercent.

(Le Peintre des coulisses, 1822)

Dans le jargon moderne des commis de la nouveauté, un calot désigne un acheteur qui borne ses achats à un objet de peu d’importance, à une paire de gants à 29 sous par exemple.

Fustier, 1889 : Argot des commis de nouveautés : acheteur difficile, ennuyeux à servir.

Dans notre argot, nous appelons la femme qui nous énerve, un calot.

(P. Giffard)

V. Delvau. Suppl. Madame Canivet.

La Rue, 1894 : Dé à coudre. Coquille de noix. Œil saillant. Officier supérieur.

Virmaître, 1894 : Grosse bille avec laquelle les enfants jouent à la poucette (Argot du peuple).

Rossignol, 1901 : Synonyme de jeu de biribi.

France, 1907 : Dé à coudre, coquille de noix ; diminutif de calotte. Se dit aussi pour la calotte d’écurie que portent les militaires.

France, 1907 : Œil. Boiter des calots, loucher. Reluquer des calots, regarder.

France, 1907 : Sorte de jeu où le joueur est toujours volé. En voici l’explication par Hogier-Grison :

Le bonneteau n’est pas le seul jeu tenu par les croupiers de barrières. Ils en ont une série d’autres dont le fonctionnement ostensible est aussi simple et dont le truc caché est aussi dangereux.
Voici, par exemple, le calot, plus terrible encore que le bonneteau. Il se compose de trois quilles creuses, sous l’une desquelles le teneur place une petite boule appelée le mouton.
Il exige un personnel de quatre comtes ou compères, parmi lesquels un comte en blanc qui ne joue jamais, mais qui est chargé du rapport.
C’est un peu le jeu des gobelets et de la muscade ; le teneur s’installe ; il met le mouton sur une petite table, et le recouvre d’une quille :
— La boulette ! dit-il, elle passe, la boulette’… la boulette’… la boulette… Et, en même temps, il change les quilles de place, les faisant passer tour à tour à droite, à gauche, au milieu, en les glissant sur la table de telle sorte que la boulette ne puisse sortir. Il s’arrête :
— Un louis à qui désigne la quille où se trouve la boulette ! crie-t-il.
Un des « comtes » montre un des calots :
— Elle est là, répond-il.
Le teneur soulève la quille, la boulette n’y est pas.
— Farceur, dit un autre « comte », la voici.
Et il soulève le calot sous lequel est le mouton.
— C’est bien simple, ajoute-t-il ; vous n’avez donc pas suivi le mouvement du joueur ? la boulette est toujours sous la même quille ; il y a qu’à ne pas perdre la quille de vue…
Bientôt le public s’en mêle ; le jeu change. Le teneur pose la boulette sur la table, la recouvre d’une quille, fait passer les deux autres, et tout en faisant ce double mouvement, il roule la boulette jusque dans ses doigts, où elle reste cachée, de façon qu’il n’y a plus de boulette du tout. Le pigeon peut ponter sur n’importe quelle quille, il a toujours perdu.

(Le Monde où l’on triche)

Camouflement

Vidocq, 1837 : s. m. — Déguisement.

Delvau, 1866 : s. m. Déguisement, — parce que c’est à tromper que sert la camoufle de l’instruction et de l’éducation.

Rigaud, 1881 : Déguisement. — Se camoufler, se déguiser, — dans le jargon des voleurs. Vient de l’italien camuffare, se cacher la tête.

Canard, couac

Larchey, 1865 : « Ces explosions criardes des instruments à vent si connues sous le nom de canards. » — V. Luchet. — Le second mot est une onomatopée, et la comparaison d’une fausse note au cri du canard (couac) a fait former le premier.

Rigaud, 1881 : Fausse note, — note qui ne sort pas du gosier du chanteur. Quand l’émission du son commande plus d’une note, le canard prend le nom d’oie. L’autruche est un canard considérable, tout ce qu’il y a de plus fort en couacs, — dans le jargon des chanteurs.

Carrer le pognon

France, 1907 : Détourner l’argent, voler.

— Mais, paraît qu’il a trouvé plus malin que lui… à propos de sa banque… sa caisse d’Algérie, je me sais plus au juste… c’est des trucs de la haute que je ne connais pas… Enfin, on l’a mangé… on a dit qu’il avait carré le pognon des pantes.

(E. Lepelletier, Les Secrets de Paris)

Cartonner

Rigaud, 1881 : Jouer aux cartes. Passer sa vie à cartonner.

France, 1907 : Jouer aux cartes.

Après avoir fait ses adieux à la belle enfant, qui s’était montrée vraiment très… expansive, il était allé au cercle où il avait passé la nuit à cartonner.

(Gil Blas)

Tout en cartonnant dans ton claque,
Rabats un douillard à ta marque.

(Hogier-Grison, Pigeons et vautours)

Moi, je connais tous les jeux ! Répondit Mon Oncle… j’enseigne même à ceux qui aiment à cartonner tous les moyens de défense possible coutre les trucs, suiffages et biscuits des philosophes les plus émérites… à votre disposition, monsieur !…

(Ed. Lepelletier)

Chambardement

Fustier, 1889 : Renversement, bris.

Gambetta, vil objet de mon ressentiment,
Ministres ennemis de tout chambardement,
Sénateurs que je bais…

(Événement, 1881)

Rossignol, 1901 : Faire du chambard.

France, 1907 : Bouleversement, destruction.

Les sociétés se succèdent et disparaissent, englouties tour à cour dans de formidables débâcles. Que reste-t-il des antiques civilisations de l’Asie, des Amériques et de celles dont ou découvre, çà et là, des traces au-delà des déserts africains ?
Comme elles, la nôtre ne sera plus qu’un souvenir.
Sur nos débris, d’autres races surgiront, qui ne comprendront ni notre histoire, ni nos mœurs, ni nos sottises, ni nos crimes.
Table rase ! Le jour du grand chambardement est proche, Les bruits précurseurs des tempêtes s’élèvent de toutes parts.

(Hector France, Lettres Rouges)

Chambrer le pante

France, 1907 : Voler le bourgeois.

Voici mon truc, a-t-il dit à Mermeix : je loge toujours avec l’étoile dans le premier hôtel de la ville où nous passons. Je prends un appartement composé de deux chambres séparées pur un salon. L’étoile ne voit que moi. Elle soupe avec moi. Quand elle est couchée, j’entre dans sa chambre pour m’informer s’il ne lui manque rien. Vous comprenez qu’il n’y a pas de moyen pour elle d’y échapper.
M. Schürmann manque de modestie en qualifiant de sien un truc qui est depuis longtemps dans le domaine public : c’est ce qu’en argot des bonneteurs on appelle chambrer le pante.

(Grosclaude)

Charades

Delvau, 1864 : Jeu de société qui, comme tous les jeux innocents, ne contribue pas peu à l’instruction des jeunes filles.

On jouait aux charades chez la princesse M… — Une jeune dame proposa celle-ci :
« Mon premier est un instrument de plaisir.
Mon second sert dans les jeux de hasard,
Et mon tout est le nom d’un grand homme. »
— Je le tiens ! s’écria madame A… Et elle articula, presque timidement, ces deux syllabes : Con-dé.
— C’est assez compris, dit l’auteur ; mais il y a quelque chose de trop grand et quelque chose de trop petit.
Une dernière dame hasarda : Lamotte-Piquet.
— Il y a du bon, mais ce s’est pas encore cela. Personne ne dit plus mot !… Eh bien ! le nom de mon homme, c’est… Vagin-jeton.
La princesse en rit encore !
Voici une anecdote qui concerne cette aimable femme :
On lui avait recommandé un jeune auteur d’avenir. Celui-ci se présente un jour qu’elle avait fixé pour le recevoir.
— Ah ! c’est vous, dit-elle, Monsieur… Monsieur Lévy, je crois ?
— Madame, je me nomme Lèpine.
— Oh ! mon Dieu, reprend la princesse, c’est la même chose. Il me semblait bien aussi qu’il y avait un vit ou une pine au bout de votre Lé. — Asseyez-vous donc, je vous prie, et quand je connaîtrai votre affaire, je verrai ce que je puis pour vous.

(Historique.)

Chauffer un élève

Fustier, 1889 : Lui appliquer des moyens d’instruction oui hâtent ses connaissances aux dépens du développement total. (Littré)

Il ne réussit qu’après avoir été chauffé dans une maison spéciale, par un professeur qui lui mâchait ses devoirs.

(Pellerin, Le roman d’un blasé)

France, 1907 : Se dit des fabriques de bacheliers où l’on bourre un candidat des matières strictement essentielles pour son examen, au détriment des autres connaissances et qui ne lui serviront jamais dans la vie.

Cheminot

France, 1907 : Ouvrier terrassier employé spécialement au percement des tunnels et des voies ferrées.

J’allais à la ville voisine,
Car, par un cheminot, j’appris
Que ma fille unique, en gésine,
S’y meurt et m’appelle à grands cris.

(François Coppée)

Ils sont environ vingt mille en France de vrais cheminots ; une véritable armée où pelles, pioches et pics remplacent fusils et canons. Ils forment, inconscients de leur utilité sublime, l’avant-garde dévouée — nous allions écrire sacrifiée — du progrès. Malgré qu’on ait décrété l’instruction obligatoire et gratuite, la plupart ne savent pas lire.

(Jean Allemane, Le Parti ouvrier)

Chien

d’Hautel, 1808 : Il est grand comme un chien assis. Se dit par exagération et en plaisantant, d’un bambin, d’un marmouzet, d’un homme très-petit de taille, qui a la prétention de vouloir paroitre grand.
C’est un chien dont il faut se méfier. Manière incivile de dire qu’un homme est fin, subtil et rusé.
Cela n’est pas si chien. Pour cela n’est pas si mauvais ; se dit de toute chose friande et qui flatte le goût.
Faire le chien couchant. Flatter, carresser bassement quelqu’un, se soumettre à tous ses caprices, à toutes ses volontés.
Qui aime Bertrand, aime son chien. Voyez Aimer.
Chien hargneux a toujours l’oreille arrachée. Signifie qu’un homme querelleur s’attire sans cesse de mauvais traitemens.
Tu n’es pas chien. Expression basse et ignoble qui se dit à un égoïste, à un homme injuste, qui blesse les intérêts d’autrui pour satisfaire les siens propres.
C’est un mauvais chien. Grossièreté qui équivaut à c’est un méchant homme.
C’est un vrai chien de port. Pour c’est un rustre, un grossier personnage, comme le sont ordinairement les gens qui travaillent sur les ports.
Il m’a reçu comme un chien dans un jeu de quilles. Métaphore qui sert à exprimer le mauvais accueil que l’on a reçu de quelqu’un qu’on alloit visiter, consulter ou solliciter. On dit aussi d’un homme indiscret et importun qui vient dans une société sans y avoir été invité, qu’Il vient comme un chien dans un jeu de quilles.
Il mourroit plutôt un bon chien de berger.
Se dit méchamment et injurieusement d’une personne dont on désiroit la mort, et qui est revenue de quelque maladie dangereuse.
Un bon os ne tombe jamais d’un bon chien. Signifie qu’un bon mari a rarement une bonne femme, et une bonne femme un bon mari ; et par extension, que la fortune, le bonheur, ne favori sent jamais ceux qui méritent d’être heureux.
Il fait comme les grands chiens, il veut pisser contre les murs. Locution basse et figurée, qui signifie qu’un homme se couvre de ridicule, en prenant des tons au-dessus de sa fortune et de sa condition, et généralement en entreprenant des choses qui surpassent ses moyens et ses forces.
On dit des gens vicieux, et qui ne peuvent se corriger, qu’Ils sont comme les chiens, qu’ils retournent à leurs vomissemens.
Être comme un chien à l’attache.
Être retenu par un travail obligatoire et continuel.
Les coups de bâton sont pour les chiens. Réponse que l’on fait ordinairement à ceux qui vous menacent du bâton.
Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il est enragé. Signifie que lorsqu’on veut se débarrasser de quelqu’un, on lui cherche toute sorte de querelle.
On dit d’un écervelé, d’un homme qui court d’une manière extravagante, qu’Il court comme un chien fou.
Un bon chien n’aboie point faux.
Signifie qu’un homme habile ne fait jamais de fausses démarches.
Il est fou comme un jeune chien. Comparaison peu honnête, pour dire que quelqu’un est d’une humeur très-folâtre.
Un chien regarde bien un évêque, je peux bien regarder une bête comme toi. Répartie brusque et injurieuse que l’on fait à un homme vain et glorieux qui se fâche de la liberté que l’on prend, de le regarder, de le fixer.
Il ne faut pas se moquer des chiens, qu’on ne soit hors du village. Pour, il ne faut pas choquer quelqu’un dans un lieu où il peut nous nuire.
Jeter un os à la gueule d’un chien, pour le faire taire. Faire un présent à quelqu’un pour l’empêcher de divulguer les secrets d’une affaire.
On dit d’un homme avide qui défend bien ses intérêts dans une affaire, qu’Il n’en jette pas sa part aux chiens.
Chien en vie vaut mieux que lion mort.
Pour, il vaut mieux vivre en lâche que mourir en brave. Voy. Lion.
Abandonner quelqu’un comme un pauvre chien. Le laisser dans la misère, ne point le secourir.
Il est comme le chien du jardinier, il ne mange point de choux, et ne veut pas que les autres en mangent. Se dit d’un égoïste, d’un homme envieux des moindres succès.
Mener une vie de chien. Vivre dans la débauche et le libertinage ; dans une dissipation honteuse.
Chien noyé. Terme bas et injurieux que les femmes de la Halle appliquent à un homme, dans un débordement de colère.
Il n’est chasse que de vieux chiens. Signifie que pour les conseils, il faut avoir recours aux vieillards, qui ont reçu les leçons de l’expérience.
Rompre les chiens. Interrompre une conversation dont les suites pourroient être fâcheuses.
Entre chien et loup. Pour dire, à la brune, entre le jour et la nuit.
Tandis que le chien pisse, le loup s’enfuit. C’est-à-dire que l’occasion échappe, si l’on n’est habile à en profiter.
Droit comme la jambe d’un chien. Se dit par dérision d’une jambe, torse et mal faite.
Las comme un chien. Pour dire, très-fatigué. Comparaison dont l’ellipse est un peu forte ; car on ne sait pourquoi le chien dont on parle doit être fatigué, rien n’annonçant qu’il ait pris de mouvement.
Il vit comme un chien. Se dit par mépris d’un homme qui ne remplit aucun des devoirs de sa religion.
Vous pouvez entrer, nos chiens sont liés. Se dit pour encourager des gens timides.
Il est comme le chien de Jean de Nivelle, il s’enfuit quand on l’appelle. Voy. Appeler.
Si vous n’avez pas d’autre sifflet, votre chien est perdu. Se dit à ceux qui se sont fourrés dans une mauvaise affaire, et qui emploient des moyens inefficaces pour s’en retirer.
Ils s’aiment comme chiens et chats. Se dit d’un ménage où l’homme et la femme sont continuellement en querelle.
C’est St.-Roch et son chien. Se dit par raillerie de deux personnes qui vivent dans une grande familiarité ; qui sont inséparables.
C’est un chien au grand collier. Se dit d’une personne qui a de grandes prérogatives dans une maison ; qui y fait la pluie et le beau temps.
Faire un train de chien. Gronder, crier, s’emporter contre quelqu’un.
Un bruit de chien ; une querelle de chien. Un bruit qui dégénère en vacarme ; une querelle qui prend une mauvaise fin.
C’est un bon chien, s’il vouloit mordre. Se dit d’un homme dont les apparences sont favorables, mais trompeuses.
On appelle vulgairement l’eau-de-vie du sacré chien tout pur.

Halbert, 1849 : Secrétaire.

Larchey, 1865 : « Le chef est chien ou bon enfant. Le chien est dur, exigeant, tracassier, méticulier. » — Balzac.

Larchey, 1865 : Avare. — Horace (I. II, sat. 2) emploie le mot canis pour signifier avare.

Chien : Égoïste, homme injuste, qui blesse les intérêts d’autrui.

(d’Hautel, 1808)

N’être pas chien en affaires : Aller grandement, sans chicane.

Larchey, 1865 : Compagnon.

Tu passeras renard ou aspirant, après ça tu deviendras chien ou compagnon.

(Biéville)

Larchey, 1865 : Mot d’amitié. V. Chat.

Delvau, 1866 : s. et adj. Tracassier, méticuleux, avare, exigeant, — dans l’argot du peuple, qui se plaît à calomnier « l’ami de l’homme ». C’est l’expression anglaise : Dog-bolt. Vieux chien. Vieux farceur, — sly dog, disent nos voisins.

Delvau, 1866 : s. m. Caprice de cœur, — dans l’argot des petites dames. Avoir un chien pour un homme. Être folle de lui.

Delvau, 1866 : s. m. Compagnon, — dans l’argot des ouvriers affiliés au Compagnonnage.

Delvau, 1866 : s. m. Entrain, verve, originalité, — dans l’argot des gens de lettres et des artistes ; bagou, impertinence, désinvolture immorale, — dans l’argot des petites dames.

Rigaud, 1881 : Avare.

Dis donc, petite sœur ; il est rien chien ton m’sieur : y m’ prend un cigare et du feu et y m’ donne que deux ronds.

(A. Tauzin, Croquis parisiens)

Rigaud, 1881 : Compagnon du devoir, en terme de compagnonnage.

Rigaud, 1881 : Homme dur, exigeant ; s’emploie principalement en parlant d’un supérieur, — dans le jargon des employés. — Sévère, — dans le jargon des collégiens.

Notre pion est diablement chien.

(Albanès, Mystères du collège, 1845)

Rigaud, 1881 : Lettre tombée sous la forme. — dans le jargon des typographes.

Boutmy, 1883 : s. m. Lettre tombée d’une forme ou qui se trouve sur le marbre au moment où l’on y dépose un châssis. Le chien fait lever le texte quand on desserre, en sorte qu’il est impossible de taquer sans écraser le caractère.

La Rue, 1894 : Galbe, élégance, mordant, chic. Eau-de-vie.

France, 1907 : Ce mot à nombre de significations. Il signifie avare, et cet argot a des lettres de noblesse, car il remonte à Horace : « Il est un homme qui porte et qui mérite le surnom de chien, dit-il, c’est Avidiénus ; des olives, vieilles de cinq ans, et des cornouilles sauvages composent son repas. Il attend que son vin soit tourné pour le verser eu libations ; l’odeur de l’huile qu’il emploie vous causerait un insurmontable dégoût… »
Chien veut dire aussi tracassier, méticuleux, exigeant. Il s’emploie au féminin :

Pour comble, Mlle la doctoresse était chiche de congés, chienne en diable, n’osait jamais accorder plus de deux jours à la fois, plus chienne que tous les docteurs qui avaient passé par l’administration : un truc de cette chipie pour se faire bien venir en haut lieu sûremment !

(Albert Cim, Demoiselles à marier)

Avoir du chien, c’est avoir de l’originalité, du cachet. Avoir un chien, c’est avoir un caprice pour un homme. Faire du chien, faire un ouvrage payé d’avance ; argot des ouvriers. Faire le chien, suivre Madame avec un panier. Piquer un chien, dormir pendant la journée.

Cloporte

d’Hautel, 1808 : Le peuple dit par corruption clou à porte ; peut-être parce que cet insecte se trouve dans les lieux humides entre les interstices des portes.

Larchey, 1865 : Portier. — Calembour : clôt-porte.

Je connais le truc pour apprivoiser les cloportes les plus farouches.

(Montépin)

Delvau, 1866 : s. m. Concierge — soit parce qu’il habite une loge sombre et humide, comme l’oniscus murarius ; soit parce qu’il a pour fonctions de clore la porte de la maison.

Rigaud, 1881 : Portier. Jeu de mots : celui qui clôt la porte.

France, 1907 : Portier. Jeu de mots : il clôt la porte.

Cocanges ou la robignole

Vidocq, 1837 : Jeu des coquilles de noix. Le jeu des coquilles de noix est un des mille et un trucs employés par les fripons qui courent les campagnes pour duper les malheureux qui sont possédés par la funeste passion du jeu. Les Cocangeurs ou Robignoleurs se réunissent plusieurs sur la place publique d’un village ou d’une petite ville, lorsqu’ils ont obtenu le condé franc, ou dans quelque lieu écarté, lorsqu’ils craignent d’être dérangés ; mais dans l’un et dans l’autre cas ils choisissent de préférence pour exercer, un jour de marché ou de foire, sachant bien que ceux qui se laisseront séduire auront ce jour là les poches mieux garnies que tout autre.
Les objets dont ils se servent sont : 1o. trois coquilles de grosses noix : les cocanges, et une petite boule de liège : la robignole. L’un d’eux, après s’être assis par terre, place son chapeau, entre ses jambes et les cocanges sur le chapeau ; cela fait, il couvre et découvre alternativement la robignole ; après avoir fait quelques instans ce manège, il s’arrête et se détourne comme pour se moucher ou cracher ; un compère alors lève successivement les trois cocanges, et lorsqu’il a découvert la robignole, ; il dit, assez haut pour être entendu de celui qui doit être dupé : « Elle est là. » C’est à ce moment que celui qui tient le jeu propose aux curieux assemblés autour de lui, des paris plus ou moins considérables ; le compère, pendant ce temps, s’est entendu avec la dupe, et ils se mettent alors à jouer de moitié ; celui qui tient le jeu est doué d’une agilité capable de faire honneur au plus habile escamoteur, il a su changer adroitement la robignole de place ; le reste se devine : ce coup se nomme le coup de tronche.
On a va des individus perdre à ce jeu des sommes très-considérables ; ils méritaient sans doute ce qui leur arrivait, car leur intention était bien celle de tromper celui que d’abord ils avaient pris pour un niais, mais jamais l’intention de la dupe n’a justifié les méfaits du dupeur ; que l’on punisse le premier, rien de mieux, mais que l’on ne ménage pas le second, et bientôt, du moins je l’espère, on aura vu disparaître cette foule d’individus qui spéculent sur des passions mauvaises.

Communisme

France, 1907 : En voici la formule : De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins. Comme moyen d’action, le suffrage universel et une révolution changeant l’ordre des choses.

Pour que l’action, ainsi que l’exposa Pini en cour d’assises, puisse avoir un résultat heureux, il est nécessaire que le peuple distingue ses vrais amis des faux ; il est nécessaire de lui rappeler les faits du temps passé. Une révolution, pour être profitable, ne doit pas avoir pour objet un simple changement d’hommes au pouvoir ou la formation d’un gouvernement provisoire, mais pour unique but la destruction de toute autorité, l’appropriation de toutes les richesses sociales, au bénéfice de tous et non de la classe qui viendra les administrer, et l’opposition absolue par la violence à l’établissement de quelque pouvoir que ce soit.

Connaître le truc

Larchey, 1865 : Connaître le secret V. Cloporte.

Consolation

Larchey, 1865 : Eau-de-vie. — Ce mot dit avec une éloquence navrante ce que le pauvre cherche souvent dans un petit verre ; — L’oubli momentané de ses maux, et souvent de sa faim.

Bon, il entre dans le débit de consolation.

(E. Sue)

Delvau, 1866 : s. f. eau-de-vie, — dans l’argot du peuple, qui se console à peu de frais. Débit de consolation. Liquoriste, cabaret.

Rigaud, 1881 : Débit de liqueurs. — L’eau-de-vie est la consolation des ivrognes.

Fustier, 1889 : Jeu de hasard à l’usage des filous.

Au lieu du rendez-vous, on jouait la consolation, partie qui consiste à diviser un tapis vert en cases, au moyen de lignes tracées à la craie, à numéroter chaque compartiment depuis un jusqu’au chiffre maximum que peuvent produire un certain nombre de dés et à payer enfin à chaque individu le montant de la mise qui se trouve dans la case que désigne la somme des points amenés par le coup de dés.

(La Loi, 1882)

La Rue, 1894 : Partie de cartes ou de dés proposée par les bonneteurs en wagon.

Virmaître, 1894 : Jeu qui se joue dans les wagons de chemins de fer au retour des courses. Les bonneteurs offrent la consolation aux joueurs malheureux, qui ont celle de se voir encore dépouillés (Argot des camelots).

Rossignol, 1901 : C’est un jeu de hasard que l’on appelait dans le temps la parfaite égalité, et, comme disait le teneur, « un petit jeu franc et loyal qui ne craint ni la rousse ni le municipal, c’est le petit jeu de la bobinette ; celui qui a peur de perdre, faut pas qu’il y mette. » Le mot consolation date de 1876 ; l’auteur est un nomme Loustelet, marchand de bijoux en chambre, qui importa ce jeu aux courses. Il se jouait en chemin de fer, à l’aller et au retour des courses, puis on s’arrêtait chez un marchand de vin pour y continuer la partie. Lorsque les joueurs étaient décavés, Loustelet faisait tirer gratuitement un bijou entre les perdants, ce qui était la consolation. Voyant que son métier prospérait, Loustelet avait pris plusieurs commis qui tenaient ce jeu séparément et pour lui ; mais ce petit truc fut vite connu et les chemins de fer infestés de teneurs de consolation. À cette époque c’était le petit jeu franc et loyal, les dés à jouer étaient dans un cornet ; depuis, ils se mettent dans une boîte en bois où il y a un avantage pour le teneur et toujours escroquerie (la boîte est arnaquée).

France, 1907 : Eau-de-vie.

France, 1907 : Jeu de filous qui se joue dans les wagons, au retour des courses, appelé ainsi pour soi-disant consoler ceux qui ont perdu. Il se joue avec trois dés et un tableau divisé en six cases. Quelques marchands de vins du voisinage de la gare Saint-Lazare sont connus pour offrir leur bar aux consolateurs.

Après le tirage du gros lot, on a recommencé la partie pour les vice-présidents ; c’est ce que, dans je monde des bonneteurs, on appelle le jeu de la consolation.

(Grosclaude, Gil Blas)

Constante

Delvau, 1866 : s. f. Nom que les Polytechniciens donnent à relève externe, parce que l’externe sort de l’école comme il y est entré : il n’a pas d’avancement ; il n’est pas choyé, il joue au milieu de ses camarades le rôle de la constante dans les calculs : il passe par toutes les transformations sans que sa nature en subisse aucune variation.

France, 1907 : Élève externe de l’École Polytechnique. Ils sont ainsi plusieurs envoyés en France par leur gouvernement pour perfectionner leur instruction.

Ils ne participent à aucun classement, ils n’ont pas de costume spécial ; avant pas d’uniforme, ils n’ont naturellement pas d’épée, c’est-à-dire de tangente : ayant une tangente nulle, ce sont des constantes.
Ces jeunes gens appartiennent pour la plupart, à des familles considérables. Quelques-uns d’entre eux, rentrés dans leur patrie après deux années de séjour à l’Ecole, n’ont pas tardé à conquérir une grande réputation.

(Albert Lévy et G. Pinet, L’Argot de l’X)

On donne, par extension, disent les mêmes auteurs, le nom de constante à l’élève qui fréquente une salle autre que la sienne.

Corbuche loff

Virmaître, 1894 : Faux ulcère. Les mendiants, pour exciter la charité publique, employent toutes sortes de moyens ; ils se font manchots, culs-de-jatte, boiteux, etc. Le truc le plus usité est celui des faux ulcères ; une simple mouche de Milan suflit pour produire une plaie artificielle qui peut disparaître par un simple lavage. Les troupiers carottiers pratiquent ce moyen pour aller à l’infirmerie (Argot des voleurs). N.

France, 1907 : Ulcère factice fait à l’aide d’ingrédients.

Coudes à gauche (sentir les)

France, 1907 : Marcher militairement, avec ordre et ensemble. Allusion à la recommandation des instructeurs : « Sentez les coudes ! »

Couille en bâton

France, 1907 : Bêtise, chose sans valeur.

Un tas de bougres… nous serineront que la conquête des municipalités est un truc galbeux. À cela, les paysans pourront répondre que c’est de la couille en bâton : pour ce qui les regarde, y a une quinzaine d’années qu’ils ont fait cette garce de conquête et ils n’en sont pas plus bidards pour ça.

(Almanach du Père Peinard, 1894)

Coup de la bascule

France, 1907 : Genre de vol très usité chez les rôdeurs qui travaillent isolément. Dans le Bas du Pavé parisien, Guy Tomel en donne l’explication :

D’une main ils saisissent au collet le passant, qui, surpris par la brusquerie de l’attaque, se rejette instinctivement en arrière. À ce moment, il trébuche, car l’assaillant lui a lié la jambe par un croc-en-jambe qui constitue le truc essentiel du coup. La victime, sentant qu’elle perd l’équilibre, étend ses bras en croix et bat l’air, au lieu de prendre à son tour l’agresseur au collet. Pendant ces oscillations, le voleur, de sa main libre, fouille rapidement les poches ou arrache la montre, avec la chaîne, cette fois. L’opération est faite, il ne reste plus qu’à imprimer une dernière poussée au bonhomme, au besoin à l’envoyer rouler dans le ruisseau par un coup de pied de zouave appliqué au creux de l’estomac et à prendre la fuite. La bascule exige beaucoup de rapidité et de précision ; c’est un coup qui rate souvent et qui n’est pas très recommandé sur les boulevards extérieurs.
On lui préfère avec raison le coup de la petite chaise, qui exige un copain.

Coup du moineau

Virmaître, 1894 : Un pégriot a un pierrot apprivoisé ; il avise une boutique et lache son oiseau ; celui-ci se sauve derrière les sacs ; il entre, pleure, se désole :

— Mon pierrot, mon pierrot.

Les garçons, le patron, la patronne, tout le monde est après le pierrot. Le pégriot profite de cette chasse improvisée pour fouiller dans le comptoir et prendre une poignée de monnaie.
Le pierrot est pris, le gamin se sauve en remerciant, le tour est joué (Argot des voleurs). N.

France, 1907 : C’est un nouveau truc inventé par l’esprit fécond des voleurs. Un gamin lâche un moineau apprivoisé dans une boutique, et, tandis que celui-ci voltige à droite et à gauche et que chacun court pour l’attraper, le petit garçon fait main basse sur tout ce qu’il peut trouver, argent où marchandise.

Courant

Delvau, 1866 : s. m. Truc, secret, affaire mystérieuse, — dans l’argot du peuple. Connaître le courant. Savoir de quoi il s’agit. Montrer le courant. Initier quelqu’une quelque chose.

France, 1907 : Tour, dans le sens de truc. Connaître le courant ou montrer un courant, c’est savoir ou enseigner un tour.

Cracher au bassinet

Delvau, 1866 : v. n. Être forcé de payer, — dans l’argot du peuple.

Virmaître, 1894 : Faire cracher (payer) un débiteur dur à la détente (Argot du peuple).

Rossignol, 1901 : Se faire donner une somme due par un mauvais payeur est le faire cracher au bassinet.

France, 1907 : Donner de l’argent en rechignant, de mauvaise grâce, par force.

— La mère Nippe a aussi un autre truc : comme elle est bien avec le curé et le bedeau, elle prélève un tant pour cent sur toutes les aumônes des autres mendigos qui fréquentent les abords de l’église, les jours de fête… s’ils ne crachent pas au bassinet, elle fait un signe au bedeau et celui-ci vient avec le suisse et les fait partir. Oh ! elle la connait la mendigoterie, cette vieille carabosse !…

(Ed. Lepelletier, Les Secrets de Paris)

Cuisine

d’Hautel, 1808 : Se ruer en cuisine. Manger à ventre déboutonné ; faire beaucoup de dépense pour sa cuisine.
On dit aussi d’une personne grasse, vermeille, et rubiconde, qu’elle est chargée de cuisine.

Vidocq, 1837 : s. f. — Préfecture de police.

Larchey, 1865 : Préfecture de police. — Cuisinier : Agent de police (Vidocq).Cuisinier : Dénonciateur, espion. V. coqueur.

Lui qui avait servi plusieurs fois de cuisinier à la police.

(Canler)

Mauvais signe ! un sanglier ! comment s’en trouve-t-il un ici ? — C’est un de leurs trucs, un cuisinier d’un nouveau genre.

(Balzac)

Delvau, 1866 : s. f. La préfecture de police, — dans l’argot des voleurs, qui y sont amenés sur les dénonciations des cuisiniers ou coqueurs.

Delvau, 1866 : s. f. Tout ce oui concerne l’ordonnance matérielle d’un journal, — dans l’argot des gens de lettres. Connaître la cuisine d’un journal. Savoir comment il se fait, par qui il est rédigé et quels en sont les bailleurs de fonds réels. Faire la cuisine d’un journal. Être chargé de sa composition, c’est-à-dire de la distribution des matières qui doivent entrer dedans, en surveiller la mise en page, la correction des épreuves, etc.

Rigaud, 1881 : Préfecture de police. — Vesto de la cuisine, agent de la sûreté, — dans le jargon des voleurs.

La Rue, 1894 : Préfecture de police.

France, 1907 : Préfecture de police

Curieux

d’Hautel, 1808 : On dit d’un homme curieux, indiscret et avare, qu’Il veut tout savoir et ne rien payer.

Vidocq, 1837 : s. m. — Juge d’instruction, président du tribunal.

Halbert, 1849 : Juge.

Larchey, 1865 : Juge d’instruction. — Il est curieux par métier. V. Escrache.

Le curieux a servi ma bille (mon argent).

(Vidocq)

Delvau, 1866 : s. m. Le juge d’instruction, — dans l’argot des voleurs, qui, en effet, n’aiment pas à être interrogés et veulent garder pour eux leurs petits secrets.

Rigaud, 1881 : Commissaire de police. — Juge d’instruction.

La Rue, 1894 : Commissaire de police. Juge d’instruction. Président d’assises.

Virmaître, 1894 : Juge (Argot des voleurs). V. Palpeurs.

Rossignol, 1901 : Juge. C’est un curieux, parce qu’il met le nez dans vos affaires.

Hayard, 1907 : Juge.

France, 1907 : Amateur de scènes crapuleuses qui fréquente les bains de vapeur pour assister à des actes honteux. Dans les maisons de tolérance, on les appelle voyants.

En dehors des gens qui se rendent aux bains de vapeur pour satisfaire leurs passions, il y a la clientèle courante que l’hygiène amène seule et où figurent des individus connus sous le nom de curieux. Ils n’aiment pas les femmes, n’ont aucun goût pour les plaisirs contre nature, et cependant ils séjournent des journées entières dans ces établissements : ils mangent, boivent, fument, circulent dans les salles et semblent heureux d’entendre des paroles obscènes, et d’assister à des actes répugnants. C’est là une curiosité maladive assez commune qui charme leurs oreilles et satisfait leur vue.

(Gustave Macé)

France, 1907 : Juge. Il veut, en effet, tout savoir.

— Son couteau… son couteau à lui. Prenez-lui son couteau dans la poche… Vous ne comprenez donc pas, double brute, que quand on trouvera ce couteau, les curieux seront convaincus qu’ils sont en présence d’un suicide… Là ! y êtes-vous ?… Moi, je m’empare des précieux papiers.

(Georges Pradel, Cadet Bamboche)

Grand curieux, président de cour d’assises. Curieux de la planche au pain, président de tribunal. Curieux à mal faire, voleur maladroit.

Débiner le truc

Delvau, 1866 : v. a. Vendre le secret d’une affaire, révéler les ficelles d’un tour. Argot des saltimbanques.

Virmaître, 1894 : Compère mécontent qui révèle le secret de son associé (Argot des voleurs).

France, 1907 : Révéler le secret.

— Ainsi, me voilà comte !… comte de Latra !… Que cet imbécile ait gobé ou non ma noblesse de fraîche date, je m’en soucie comme d’un faux florin… Ce n’est pas lui qui ira me vendre… débiner le truc… Comte de Latra ! Eh bien, quoi ! n’ai-je pas l’air d’un comte comme un autre ? Il y en a tant qui ont la mine de savetiers.

(Hector France, La Mort du Czar)

Dégoter, dégotter

France, 1907 : Surpasser.

L’émulation, ce puissant moteur du bien, existe aussi pour le mal. Les jeunes rôdeurs se montent mutuellement la tête. Ils veulent faire parler d’eux, devenir célèbres, dégotter tel ou tel cabot du crime dont le public s’entretient. Ils vont au mal, parce que la route du mal s’ouvre devant eux. Peut-être iraient-ils au bien si la société se préoccupait avec plus d’intelligence de leur en montrer le chemin.

(Paul Foucher)

Bien à tort, le public s’exclame
Sur la finesse de Prado ;
Cet assassin, je le proclame,
N’est qu’un maladroit, un lourdaud.
Sans me faire de la réclame,
Je puis dire, sans vanité,
Que, par mon habileté,
Je l’ai vraiment dégoté !

(Jules Joly)

— Sieds-toi, monsieur ; regarde comme je suis belle ! Et prends-moi, si ça te plaît !
Il s’étendit à plat le ventre sur le divan aux couleurs tapageuses qui, rehaussant cet humble boudoir, lui prêtait, à la clarté molle de deux lampes d’albâtre, une certaine apparence de luxe, et, s’étant étiré les quatre membres, il bâilla, puis il la contempla nonchalamment de cet œil connaisseur avec lequel maquignons et gentilshommes étudient la structure des pur sang.
— Hé ! hé ! bourdonna-t-il, tu dégotes la Médicis et la Milo !

(Léon Cladel, Une Maudite)

Dépot

France, 1907 : Prison située sous le Palais de Justice, enclavée derrière les tourelles de la Conciergerie, dans le massif d’édifices qui comporte la cour d’appel, le tribunal, les greffes, le parquet, la cour de cassation, la cour d’assises, et les services annexes de l’instruction, du petit parquet, de la préfecture de police, de la souricière, des archives, de l’assistance judiciaire, du bureau des amendes et des criées ; enfin, occupant tout le vaste quadrilatère du boulevard du Palais, du quai des Orfèvres, de la place Dauphine, du quai de l’Horloge, qu’on nommait jadis le quai des Morfondus.
On y conduit par le panier à salade toutes les personnes arrêtées par les agents. « C’est, dit Charles Virmaître, un lieu infect, indigne de notre époque, en raison de la promiscuité des détenus et de l’absence d’air et de lumière. Ce n’est pas dépôt que l’on devrait dire, mais dépotoir, car il y passe annuellement 67,000 individus, environ 13.000 vagabonds et 22,000 filles publiques. »

Dépôt

Rigaud, 1881 : Dépôt de la préfecture de police.

Dans le siècle dernier, ce dépôt (spécialement affecté aux prostituées) portait le nom de salle ou de maison Saint-Martin ; il était situé rue du Verbois, au coin de la rue Saint-Martin.

(Parent-Duchatelet)

En 1785 les prostituées furent dirigées sur l’hôtel de Brienne dit la Petite-Force. Depuis 1798 elles sont consignées au dépôt général de la préfecture de police. — On envoie au Dépôt les individus mis en état d’arrestation par ordre du commissaire de police. On les transporte du violon au Dépôt dans le panier à salade. Ils y restent jusqu’à ce que le juge d’instruction ait statué sur leur sort.

Virmaître, 1894 : Prison située sous le Palais de Justice, où l’on conduit par le panier à salade tous les individus arrêtés par les agents. C’est un lieu infect, indigne de notre époque, en raison de la promiscuité des détenus et de l’absence d’air et de lumière. Ce n’est pas dépôt que l’on devrait dire, mais bien dépotoir, car il y passe annuellement 67 000 individus. Environ 13 000 vagabonds et 22 000 filles publiques. Je ne compte pas les voleurs qui ont horreur de ce lieu de détention surnommé la Cigogne (Argot des voleurs). N.

Destructeur

France, 1907 : Genre de sadique.

Ces maniaques coupent, à l’aide de ciseaux, les robes, les manteaux des femmes, et les morceaux qu’ils enlèvent sont précieusement entassés dans des tiroirs. Sur l’étiquette indicatrice, on lit, avec la date, le nom du magasin, le signalement de la femme, la satisfaction du… charme éprouvé. La personne qui a le malheur de faire leur caprice est certaine d’avoir ses vêtements à remplacer.

(G. Macé, Un Joli monde)

Destruction

d’Hautel, 1808 : Il ne se plaît qu’à la destruction. Pour il a le génie destructeur et malfaisant.

Dig

France, 1907 : Rien. N’y voir que dig, n’y voir que du feu.

… Panpan installait un jeu de petits chevaux de plomb dont il était le constructeur. Dix fois la police avait dérangé ses opérations, contrôlé son pivot. Mais le « hamaque » en était si perfectionné que les agents n’y voyaient que dig.

(Hugues Le Roux, Les Larrons)

Digérer

d’Hautel, 1808 : C’est bien dur à digérer. Se dit d’une offense, d’une insulte, d’une injustice dont on est la victime, et que l’on ne peut oublier,
Il a un estomac d’autruche, il digéreroit du fer. Exagération usitée en parlant d’un grand mangeur, d’un goinfre, d’un glouton à qui rien ne fait mal.

Dresser

d’Hautel, 1808 : Dresser une batterie. Tendre un piège ; se mettre en mesure pour assurer le succès d’une affaire.
Cela fait dresser les cheveux de la tête. Métaphore de mauvais goût. Pour, cela fait horreur.
Un bon oiseau se dresse de lui-même. Signifie que lorsqu’on est né avec des dispositions, l’instruction est bien moins pénible.

Delvau, 1864 : Venir en érection.

Enfin tant que nous sommes,
Combien de membres d’hommes
Nous avons fait dresser.

(Cabinet satyrique)

Égout

France, 1907 : Bouche.

À mort l’avocat bêcheur ! À mort le président ! À mort le juge d’instruction !
Eh bien, quoi ! vous trouvez que je suis trop raide ? Quand vous aurez passé par là où j’ai passé ; quand vous aurez été condamnés à mort, quand vous serez restés trois mois à vous dire tous les jours : « C’est pour demain ! » alors je vous permettrai de foutre votre grain de sel dans la discussion ; jusque-là fermez votre égout !…

(Père Peinard)

Prima donna d’égout, chanteuse de boui-bouis.

Émoucher

d’Hautel, 1808 : Chasser les mouches. Émoucher un cheval, et non émoucheter, comme le disent habituellement les Parisiens sans instruction.

Emporteur

Vidocq, 1837 : s. m. — L’Emporteur, proprement dit, est le héros de la partie de billard dont nous avons ci-dessus promis les détails ; pour le truc dont nous allons parler, il faut de toute nécessité être trois : l’Emporteur, la Bête et le Bachotteur ; nous avons dit plus haut quelle était la tâche de ces deux derniers ; celle de l’Emporteur est beaucoup plus difficile, c’est lui qui doit chercher et trouver une dupe, et l’amener au lieu où elle doit être dépouillée.
Après avoir examiné si rien ne manque à son costume, qui doit être très-propre, l’Emporteur sort suivi de loin par ses deux acolytes, qui ne le perdent pas de vue, il se promène jusqu’à ce qu’il avise un individu tel qu’il le désire, c’est-à-dire qui annonce, soit par ses manières, soit par son costume, un étranger ou un provincial, et c’est ici le lieu de faire remarquer la merveilleuse perspicacité que possèdent ces hommes, et plusieurs autres espèces de fripons dont il sera parlé plus tard, qui savent tirer de la foule le seul individu propre à être dupé, ces hommes, presque toujours dépourvus d’éducation, savent cependant saisir le plus léger diagnostic ; ils jugent un homme à la coupe de ses habits, à la couleur de son teint, à celle de ses gants, et ils le jugent bien.
Lorsque l’Emporteur a rencontré ce qu’il cherche, il s’approche, et une conversation à peu-près semblable à celle-ci ne tarde pas à s’engager : « Monsieur pourrait-il m’indiquer la rue… — Cela m’est impossible, monsieur ; je suis étranger. — Eh ! parbleu, nous sommes logés à la même enseigne ; je ne suis à Paris que d’hier matin. »
L’Emporteur n’a pas cessé de marcher près du provincial. « Vous êtes étranger, ajoute-t-il après quelques instans de silence, vous devez désirer voir tout ce que la capitale renferme de curieux. » Signe affirmatif. « Si vous le voulez, nous irons ensemble voir les appartements du roi. J’allais, lorsque je vous ai rencontré, chercher ici près des billets que doit me donner un des aides-de-camp du duc d’Orléans ; c’est une occasion dont je vous engage à profiter. »
Le provincial hésite, il ne sait ce qu’il doit penser de cet inconnu si serviable ; mais, que risque-t-il ? Il n’est pas encore midi, et les rues de Paris ne sont pas dangereuses à cette heure ; et puis les appartemens du roi Louis-Philippe doivent être bien beaux ; et puis ce n’est pas lui, le plus mâdré des habitans de Landernau ou de Quimper-Corentin, qui se laisserait attraper : il accepte ; l’Emporteur fait le St-Jean à ses deux compagnons (voir ce mot), qui prennent les devans et vont s’installer au lieu convenu.
C’est un café estaminet d’assez belle apparence, dont le propriétaire est presque toujours affranchi. L’Emporteur y arrive bientôt, suivi de son compagnon ; en entrant il a demandé à la dame de comptoir si un monsieur à moustaches, et décoré, n’était pas venu le demander ; on lui a répondu que ce monsieur était venu, mais qu’il était sorti après toutefois avoir prié de faire attendre. « Eh bien, nous attendrons, » a-t-il répondu ; et il est monté au billard après avoir demandé quelques rafraichissemens qu’il partage avec son compagnon.
Le monsieur à moustaches n’arrive pas ; pour tuer le temps on regarde jouer les deux personnes qui tiennent le billard, et qui ne sont autres que la Bête et le Bachotteur. La Bête joue mal, et à chaque partie qu’elle perd elle veut augmenter son jeu, le Bachotteur ne veut plus jouer, et offre de céder sa place au premier venu, la Bête sort pour satisfaire au besoin, alors le Bachotteur s’exprime à-peu-près en ces termes, en s’adressant à l’Emporteur : « C’est une excellente occasion de gagner un bon dîner, le spectacle, et le reste, il est riche, il est entêté comme une mule ; rendez-lui quelque points, et son affaire est faite. — Si je savais seulement tenir une queue, répond l’Emporteur, j’accepterais la poposition. » Le provincial, qui a entendu cette conversation, et qui a vu jouer la Bête, trouve charmant de ce faire régaler par un parisien ; il pourra parler de cela dans son endroit. Il joue, il perd ; son adversaire raccroche toujours ; il s’échauffe, il joue de l’argent ; les enjeux sont mis entre les mains du Bachotteur ; le provincial envoie au diable l’Emporteur, qui l’engage à modérer son jeu. Somme totale, il sort du café les poches vides, mais cependant bien persuadé qu’il est beaucoup plus fort que son adversaire, qui n’est, suivant lui, qu’un heureux raccrocheur. (Voir Floueur.)

Delvau, 1866 : s. m. Filou qui a pour spécialité de raccrocher des provinciaux sous un prétexte quelconque, et de les amener dans un estaminet borgne, où ils sont plumés par le bachotteur et la bête. (Voir à propos de ce mot, le volume de Vidocq.)

Rigaud, 1881 : Filou qui vit au détriment des magasins. Après avoir fait un achat d’importance, l’emporteur se fait accompagner par un garçon de magasin, qu’il doit payer à domicile. Une fois en route, sous un prétexte quelconque, il écarte le garçon en ayant eu la précaution de se faire remettre la marchandise. Les hôtels garnis, les passages, les maisons à deux issues, favorisent beaucoup le jeu de l’emporteur.

France, 1907 : Filou qui racole des provinciaux ou des naïfs et les amène dans quelque cabaret borgne où ils sont dévalisés par des compères.

Empousteur

Vidocq, 1837 : s. m. — Les Empousteurs sont presque tous des juifs, et le moyen qu’ils emploient pour tromper ceux qui veulent bien leur accorder une certaine confiance est très-ingénieux.
Un individu qui se donne la qualité de commis, ou de commissionnaire, se présente chez un marchand épicier ou papetier, et lui offre des crayons qu’il laissera, dit-il, à un prix très-modéré ; le marchand, dont les provisions sont faites, refuse presque toujours cette proposition, mais cela est fort indifférent à l’Empousteur. « Vous ne voulez pas m’acheter ces crayons, dit-il au marchand, vous avez tort ; mais permettez-moi de vous en laisser quelques douzaines en dépôt. » Le marchand ne peut refuser cette proposition, il accepte, et l’Empousteur sort après lui avoir promis de revenir. Quelques jours après, un individu vient demander au marchand des crayons absolument semblables à ceux que l’Empousteur a laissés en dépôt, il achette tout et paie sans marchander, en témoignant le regret qu’on ne puisse pas lui en fournir davantage ; le marchand qui attend la visite de l’Empousteur l’engage à repasser dans quelques jours. Le lendemain, l’Empousteur vient chez le marchand, et lui demande des nouvelles du dépôt. « Tout est vendu, dit le marchand. — Je vous l’avais bien dit, répond l’Empousteur, que vous en tireriez un bon parti. En voulez-vous d’autres ? » Le marchand achette et paie tout ce que veut lui vendre l’Empousteur, et attend vainement le chaland sur lequel il comptait.

Larchey, 1865 : « Escroc faisant métier de vendre à des détaillants des produits dont le premier dépôt a été acheté par des compères. »

(Vidocq)

Rigaud, 1881 : Autre variété de filou. Celui-là sait allécher les entrepositaires par des dépôts de marchandises, qu’achètent très avantageusement des compères. Lorsqu’il a gagné la confiance des entrepositaires, l’empousteur fait de forts dépôts qui lui sont, en partie, payés comptant. Le tour est joué : la marchandise est invendable. « Un empousteur poussa l’audace jusqu’à vendre à plusieurs marchands-de la rue Saint-Denis plus de mille douzaines de faux-cols en papier et de voilettes en papier dentelle. » (L. Paillet, Voleurs et volés)

Virmaître, 1894 : Truc très commun employé par des placiers. Ils déposent chez des commerçants des mauvaises marchandises, à condition ; des compères les achètent ; les marchands alléchés prennent de nouveaux dépôts qui, cette fois, leur restent pour compte (Argot des voleurs).

France, 1907 : Industriel qui vend des marchandises falsifiées aux marchands.

Escalier

d’Hautel, 1808 : Il a sauté par la fenêtre, peur de salir les escaliers. Manière facétieuse de dire que celui que l’on poursuivoit s’est précipité par la croisée. Voyez Fenêtre.
Faire descendre les escaliers quatre à quatre à quelqu’un. Le mettre à la porte, le chasser honteusement. Vulgairement, et parmi les personnes sans instruction, ce mot devient féminin. On entend fréquemment dire à Paris : Montez par la grande escalier.

Esclop ou esclots

France, 1907 : Sabots. Du roman esclou, chemin.
Droumi coum un esclop, dormir comme un sabot (béarnais).

Ils tirèrent desdites forêts des arbres de haute futaie, des poutres, des chevrons, des lattes et autres matériaux nécessaires à la construction de maisons, de cabanes, de tonneaux, de coffres, d’esclops.

(Ducange)

Estomac

d’Hautel, 1808 : Il a un estomac d’autruche, il digéreroit le fer. Se dit d’un gourmand à qui rien ne peut faire mal ; et d’un homme qui a l’estomac bien constitué.

Delvau, 1866 : s. m. La gorge de la femme, — dans l’argot du peuple, qui parle comme écrivait Marot :

Quant je voy Barbe en habit bien luisant,
Qui l’estomac blanc et poli desœuvre.

Rigaud, 1881 : Courage, intrépidité, — dans l’argot des joueurs.

Avoir de l’estomac au jeu, c’est poursuivre la veine sans se déconcerter, sans broncher, dans la bonne ou la mauvaise fortune.

(Les Joueuses, 1868)

Peu de joueurs étaient aussi crânes, avaient un pareil estomac !

(Vast-Ricouard, le Tripot, 1880)

Beau joueur, Grandjean, et quel estomac !

(Figaro du 5 mars 1880)

On dit d’un joueur très intrépide qu’il a un estomac d’enfer.

La Rue, 1894 : Courage, audace au jeu.

France, 1907 : Aplomb, audace, sang-froid, effronterie. On dit d’un beau joueur : « Il a de l’estomac. » Se dit aussi d’un politicien roublard et sans vergogne.

Le langage populaire désigne deux sortes d’intrépidité par deux locutions spéciales ; et cette phrase : « Il n’a pas froid aux yeux », ne signifie pas précisément la même chose que : « Il a un rude toupet. » Or nous sommes tellement démoralisés que nous en arrivons à ne plus sentir cette nuance. Combien de fois, devant un coquin qui se carre dans sa mauvaise réputation et porte beau sous l’infamie, n’avez-vous pas entendu dire : « Il est crâne, il a de l’estomac… »

(François Coppée)

Je ne suis certes pas pessimiste, et j’aime la bataille par tempérament, mais j’avoue que le métier de député, accepté d’une certaine manière, est un métier abominablement écœurant.
Il exige, pour quelques-uns, une réelle maîtrise dans la canaillerie familière et dans la roublardise. Il faut de l’estomac, comme on dit, pour bien tenir l’emploi.

(A. Maujan)

Avoir de l’estomac se dit aussi pour avoir une grosse fortune, offrir de sérieuses garanties dans les affaires. « Vous pouvez aller en toute confiance, le patron a de l’estomac. »

Éternuer dans le panier

France, 1907 : Être guillotiné.

Nous ne voulons pas retracer une fois de plus le lugubre tableau d’une place publique un matin d’exécution. On sait que la majeure partie des assistants est composée d’ignobles personnages, souteneurs, récidivistes, filles publiques, habitués de restaurants de nuit tous venus par rigolade, histoire de voir un copain éternuer dans le panier.

(André Tessier, La Nation)

On dit aussi : éternuer dans le son.

En chemin, il cause avec le prêtre, lui donne de l’estomac, lui remonte le cœur :
— C’est rien du tout, m’sieu l’aumônier ! Faut pas vous rendre malade. J’ai vu Kaps, moi, place de la Roquette.
Et il raconte l’exécution de l’ « autre » au curé effaré !… Puis, en descendant, comme il se cogne la tête : « Allons, bon ! voilà qu’on se bosselle la cafetière ! » Et, sitôt à bas : « Qusqu’est l’truc ? »
Le truc, c’est la guillotine, la machine à exemple, l’épouvantail des assassins passés, présents et à venir !
On le lui indique. Il l’examine en connaisseur. Mais, comme il s’y attendait, le public ne lui va point : « Tas de poires ! » grommelle-t-il.
Il se retourne, embrasse l’aumônier — et éternue dans le son !

(Séverine)

Étouffe ou étouffoir

Vidocq, 1837 : s. f. — Table d’hôtes où l’on joue l’écarté. Ces maisons, plus dangereuses cent fois que les tripots de l’administration Benazet, sont ordinairement tenues par des vétérantes de Cythère qui ne manquent pas d’esprit, et dont le ton et les manières semblent appartenir à la bonne compagnie. Toutes ces femmes, s’il faut les croire, sont veuves d’un officier général, ou tout au moins d’un officier supérieur ; mais ce serait en vain que l’on chercherait les titres de leurs défunts époux dans les cartons du ministère de la guerre.
J’ai dit que ces maisons étaient plus dangereuses que les tripots de la ferme des jeux, et je le prouve : il y a des gens qui ne mettraient jamais les pieds dans un des autres Benazet, et qui cependant fréquentent les Étouffes ou Étouffoirs. Pour les y attirer, la veuve du général ou du colonel a ouvert les portes de son salon à une foule de femmes charmantes ; ce n’est point par la vertu que ces femmes brillent, mais elles sont pour la plupart jeunes, jolies, bien parées, la maîtresse de la maison n’exige point d’elles d’autres qualités. Des chevaliers d’industrie, des Grecs, des Faiseurs, forment, avec ces dames, le noyau de la société des tables d’hôtes, société polie peut-être, mais assurément très-peu honnête.
Il y a sans doute à Paris des réunions de ce genre composées de personnes très-honnêtes, mais ce sont justement celles-là que recherchent les flibustiers en tous genres, car là où il y a des honnêtes gens il y a nécessairement des dupes à exploiter. Ceux qui ont l’habitude de vivre à table d’hôtes devraient donc obliger les personnes qui tiennent ces sortes d’établissements à s’enquérir des mœurs et de la position sociale de chacun des convives. Une mesure semblable, prise avec des ménagemens et de la discrétion, ne pourrait blesser personne, lorsqu’elle serait générale, et suffirait seule pour éloigner tous ceux dont l’unique métier est de spéculer sur la fortune d’autrui.
Les tables d’hôtes ne sont pas seulement fréquentées par des escrocs, des Grecs ou des chevaliers d’industrie, il s’y trouve aussi des donneurs d’affaires ; ces derniers chercheront à connaître votre position, vos habitudes, les heures durant lesquelles vous serez absent de chez vous, et lorsqu’ils auront appris tout ce qu’il leur importe de savoir pour pouvoir vous voler avec impunité, ils donneront a celui qu’ils appellent un Ouvrier, et qui n’est autre qu’un adroit Cambriolleur, le résultat de leurs observations. Cela fait, l’Ouvrier prend l’empreinte de la serrure ; une fausse clé est fabriquée, et, au moment favorable, l’affaire est faite. Il n’est pas nécessaire de dire que le donneur d’affaires sait toujours se ménager un alibi incontestable, ce qui le met à l’abri des soupçons auxquels ses questions hardies et ses visites indiscrètes auraient pu donner naissance.
Viennent ensuite les donneurs d’affaires, Emporteurs. On a pu voir aux articles Emporteur et Emportage à la côtelette, les détails du truc qu’ils exercent.
Puis enfin les indicateurs de dupes ; ce sont ceux qui amènent dans les Étouffes ou Étouffoirs cette foule de jeunes gens sans expérience, qui y perdent leurs plus belles années. Et comment n’en serait-il pas ainsi ? tout y est mis en œuvre pour les corrompre : le jeu, des vins exquis, une chère délicate, des amis empressés, des femmes agréables et d’une complaisance extrême si leur bourse paraît bien garnie.
Si le jeune homme appartient à une famille riche, ses amis improvisés le mettent en rapport avec d’honnêtes usuriers qui lui prêteront de l’argent à un intérêt raisonnable, c’est-à-dire à 60 ou 50 pour % au moins. Souvent il ne recevra pour 10,000 francs de lettres de change que 1,000 à 1,500 francs, et le reste en marchandises qui ne vaudront, prisées à leur juste valeur, que le dixième au plus de leur estimation. Il est au reste notoire qu’un jeune homme ne reçoit jamais plus de 3 ou de 4,000 francs en échange de 10,000 francs de lettres de change ; cependant il doit, sur cette somme, payer aux courtiers qui lui ont fait faire cette brillante négociation une commission assez forte ; puis viennent les camarades auxquels il faut prêter quelque chose ; et, si le jeune homme aime à jouer, il est rare qu’il rentre chez lui avec seulement quelques pièces de cinq francs. Alors les amis le tiennent ; ils lui font faire des masses de lettres de change ; bientôt il est ruiné ; s’il a des dispositions ils en font un flibustier, sinon un voleur ou un faussaire.

Fafiot à piper

Virmaître, 1894 : Mandat d’amener délivré par le juge d’instruction. Ce sont les agents de la sûreté qui sont chargés du mandat à prendre. Mot à mot : fafiot, papier ; pipé, pris (Argot des voleurs).

Faire la balle

France, 1907 : Suivre les instructions de quelqu’un.

Faire la carte large

France, 1907 : Truc employé par les grecs, consistant à insérer dans le jeu une carte un jeu plus grande que les autres, et par conséquent facilement reconnaissable par le filou.

Faire le trottoir

Delvau, 1864 : Sa promener, décolletée, dans les rues, à la nuit tombante, en remuant habilement les fesses, pour allumer les hommes et les engager à venir au bordel voisin.

Mon cher, j’descends dans la rue ; a y était qui f’sait l’trottoir.

(Henry Monnier)

Commèr’ vaut compère :
Il fait le mouchoir,
Elle le trottoir.

(Chanson anonyme moderne)

France, 1907 : Faire les cent pas dans la rue pour racoler un homme.

Près de la Porte Maillot, on ramasse une vieille femme de soixante-trois ans ; elle n’a jamais couché dans un lit depuis vingt ans ; le Bois est à elle, et, à son âge, elle y fait le trottoir : pire encore, elle a des clients !

(Gil Blas)

Amanda et Fifine ont lu dans le journal qu’on verrait, pendant l’Exposition de 1900, des trottoirs roulants à Paris.
— Ça facilitera joliment le travail, dit l’une.
— Et la concurrence aussi, reprend l’autre ; quand il y aura un trottoir roulant, on ne voudra plus faire celui-là…

On dit aussi faire le truc :

— Depuis combien de temps mènes-tu cette vie-là ?
— Y a bientôt deux ans que j’fais le truc.
— Tu n’as donc plus ni père ni mère ?
— J’ai pas connu ma mère, parait qu’c’était une chouette roulure ; quant à mon p’pa, il aimait trop les bons coups, ça fait qu’il est à l’hôpital des fous.
— Mais enfin comment vis-tu, où loges-tu ?
— Chez mon bon ami.
— Qui ça, ton bon ami ?
— Mon bon ami Mimile, c’était un copain à p’pa qui m’a prise chez lui avec plusieurs petites gosselines comme moi. Oh ! je l’aime bien, Mimile, il m’a empêchée d’aller à la prison des enfants trouvés, il m’a montré à travailler et j’y rapporte toute ma galette.
— Quel âge as-tu ?
— Douze ans.

(Henry Bauër, Écho de Paris)

Faire sa balle

Delvau, 1866 : v. a. Suivre les instructions ou les conseils de quelqu’un, — dans l’argot des prisons.

Faire venir l’eau à la bouche

Delvau, 1864 : Donner soif de fouterie à une vierge où à un puceau, en faisant devant eux un tableau éloquent des béatitudes amoureuses.

Elle lui sait si bien représenter les douceurs de l’amour, avec des instructions et des naïvetés si plaidantes, qu’elle lui en fait venir l’eau à la bouche.

(Mililot)

Faiseur

d’Hautel, 1808 : C’est du bon faiseur. Se dit d’un ouvrage ou d’une chose quelconque faite par main de maître.

Vidocq, 1837 : s. m. — [Déjà, depuis plusieurs années, j’ai déclaré aux Faiseurs une guerre vigoureuse, et je crois avoir acquis le droit de parler de moi dans un article destiné à les faire connaître ; que le lecteur ne soit donc pas étonné de trouver ici quelques détails sur l’établissement que je dirige, et sur les moyens d’augmenter encore son influence salutaire.]
Lorsqu’après avoir navigué long-temps sur une mer orageuse on est enfin arrivé au port, on éprouve le besoin du repos ; c’est ce qui m’arrive aujourd’hui. Si tous les hommes ont ici-bas une mission à accomplir, je me suis acquitté de celle qui m’était imposée, et maintenant que je dois une honnête aisance à un travail de tous les jours et de tous les instans, je veux me reposer. Mais avant de rentrer dans l’obscurité, obscurité que des circonstances malheureuses et trop connues pour qu’il soit nécessaire de les rappeler ici, m’ont seules fait quitter, il me sera sans doute permis d’adresser quelques paroles à ceux qui se sont occupés ou qui s’occupent encore de moi. Je ne suis pas un grand homme ; je ne me suis (style de biographe) illustré ni par mes vertus, ni par mes crimes, et cependant peu de noms sont plus connus que le mien. Je ne me plaindrais pas si les chansonniers qui m’ont chansonné, si les dramaturges qui m’ont mis en pièce, si les romanciers qui ont esquissé mon portrait m’avaient chansonné, mis en pièce, ou esquissé tel que je suis : il faut que tout le monde vive, et, par le temps qui court, les champs de l’imagination sont si arides qu’il doit être permis à tous ceux dont le métier est d’écrire, et qui peuvent à ce métier

Gâter impunément de l’encre et du papier,

de glaner dans la vie réelle ; mais ces Messieurs se sont traînés à la remorque de mes calomniateurs, voilà ce que je blâme et ce qui assurément est blâmable.
La calomnie ne ménage personne, et, plus que tout autre, j’ai servi de but à ses atteintes. Par la nature de l’emploi que j’ai occupé de 1809 à 1827, et en raison de mes relations antérieures, il y avait entre moi et ceux que j’étais chargé de poursuivre, une lutte opiniâtre et continuelle ; beaucoup d’hommes avaient donc un intérêt direct à me nuire, et comme mes adversaires n’étaient pas de ceux qui ne combattent qu’avec des armes courtoises, ils se dirent : « Calomnions, calomnions, il en restera toujours quelque chose. Traînons dans la boue celui qui nous fait la guerre, lorsque cela sera fait nous paraîtrons peut-être moins méprisables. » Je dois le reconnaître, mes adversaires ne réussirent pas complètement. L’on n’estime, au moment où nous sommes arrivés, ni les voleurs, ni les escrocs, mais grâce à l’esprit moutonnier des habitans de la capitale, le cercle de mes calomniateurs s’est agrandi, les gens désintéressés se sont mis de la partie ; ce qui d’abord n’était qu’un bruit sourd est devenu un crescendo général, et, à l’heure qu’il est, je suis (s’il faut croire ceux qui ne me connaissent pas) un être exceptionnel, une anomalie, un Croquemitaine, tout ce qu’il est possible d’imaginer ; je possède le don des langues et l’anneau de Gygès ; je puis, nouveau Prothée, prendre la forme qui me convient ; je suis le héros de mille contes ridicules. De braves gens qui me connaissaient parfaitement sont venus me raconter mon histoire, dans laquelle presque toujours le plus beau rôle n’était pas le mien. Mon infortune, si infortune il y a, ne me cause pas un bien vif chagrin : je ne suis pas le premier homme qu’un caprice populaire ait flétri ou ridiculisé.
Plus d’une fois cependant, durant le cours de ma carrière, les préjugés sont venus me barrer le chemin ; mais c’est surtout depuis que j’ai fondé l’établissement que je dirige aujourd’hui que j’ai été à même d’apprécier leur funeste influence. Combien d’individus ont perdu des sommes plus ou moins fortes parce que préalablement ils ne sont pas venus me demander quelques conseils ! Et pourquoi ne sont-ils pas venus ? Parce qu’il y a écrit sur la porte de mes bureaux : Vidocq ! Beaucoup cependant ont franchi le rocher de Leucade, et maintenant ils passent tête levée devant l’huis du pâtissier, aussi n’est-ce pas à ceux-là que je m’adresse.
Deux faits résultent de ce qui vient d’être dit : je suis calomnié par les fripons, en bien ! je les invite à citer, appuyé de preuves convenables, un acte d’improbité, d’indélicatesse, commis par moi ; qu’ils interrogent leurs souvenirs, qu’ils fouillent dans ma vie privée, et qu’ils viennent me dire : « Vous avez fait cela. » Et ce n’est pas une vaine bravade, c’est un défi fait publiquement, à haute et intelligible voix, auquel, s’ils ne veulent pas que leurs paroles perdent toute leur valeur, ils ne peuvent se dispenser de répondre.
Les ignorans échos ordinaires de ce qu’ils entendent dire ne me ménagent guère. Eh bien ! que ces derniers interrogent ceux qui, depuis plusieurs années, se sont trouvés en relation avec moi, avec lesquels j’ai eu des intérêts à débattre, et que jusqu’à ce qu’ils aient fait cela ils suspendent leur jugement. Je crois ne leur demander que ce que j’ai le droit d’exiger.
Et qu’ai-je fait qui puisse me valoir la haine ou seulement le blâme de mes concitoyens ? Je n’ai jamais été l’homme du pouvoir ; je ne me suis jamais mêlé que de police de sûreté ; chargé de veiller à la conservation des intérêts sociaux et à la sécurité publique, on m’a toujours trouvé éveillé à l’heure du danger ; payé par la société, j’ai plus d’une fois risqué ma vie à son service. Après avoir quitté l’administration, j’ai fondé et constamment dirigé un établissement qui a rendu au commerce et à l’industrie d’éminents services. Voilà ce que j’ai fait ! Maintenant, que les hommes honnêtes et éclairés me jugent ; ceux-là seuls, je ne crains pas de le dire, sont mes pairs.
Il me reste maintenant à parler des Faiseurs, du Bureau de renseignemens, et du projet que je viens soumettre à l’appréciation de Messieurs les commerçans et industriels.
Je ne sais pour quelles raisons les chevaliers d’industrie, les Faiseurs, les escrocs, comme on voudra les nommer, sont moins mal vus dans le monde que ceux qui se bornent à être franchement et ouvertement voleurs. On reçoit dans son salon, on admet à sa table, on salue dans la rue tel individu dont la profession n’est un secret pour personne, et qui ne doit ni à son travail ni à sa fortune l’or qui brille à travers les réseaux de sa bourse, et l’on honni, l’on conspue, l’on vilipende celui qui a dérobé un objet de peu de valeur à l’étalage d’une boutique ; c’est sans doute parce que les chevaliers d’industrie, les Faiseurs, les escrocs ont des manières plus douces, un langage plus fleuri, un costume plus élégant que le commun des Martyrs, que l’on agit ainsi ; c’est sans doute aussi parce que, braves gens que nous sommes, nous avons contracté la louable habitude de ne jamais regarder que la surface de ce que nous voyons. Les chevaliers d’industrie, les Faiseurs, les escrocs, sont cependant plus dangereux et plus coupables que tous les autres : plus dangereux, parce qu’ils se cachent pour blesser, et échappent presque toujours aux lois répressives du pays ; plus coupables, parce que la plupart d’entre eux, hommes instruits et doués d’une certaine capacité, pourraient certainement ne devoir qu’au travail ce qu’ils demandent à la fraude et à l’indélicatesse.
C’est presque toujours la nécessité qui conduit la main du voleur qui débute dans la carrière ; et, souvent, lorsque cette nécessité n’est plus flagrante, il se corrige et revient à la vertu. Les Faiseurs, au contraire, sont presque tous des jeunes gens de famille qui ont dissipé follement une fortune péniblement acquise, et qui n’ont pas voulu renoncer aux aisances de la vie faishionable et aux habitudes de luxe qu’ils avaient contractées. Ils ne se corrigent jamais, par la raison toute simple qu’ils peuvent facilement et presqu’impunément exercer leur pitoyable industrie.
Ils savent si bien cela, que lorsque j’étais encore chef de la police de la sûreté, les grands hommes de la corporation me défiaient souvent de déjouer leurs ruses. Aussi, jointe à celle d’être utile à mes concitoyens, l’envie d’essayer mes forces contre eux a-t-elle été une des raisons qui m’ont déterminé à fonder le bureau de renseignemens.
« C’est une nécessité vivement et depuis longtemps sentie par le commerce que celle d’un établissement spécial, ayant pour but de lui procurer des renseignemens sur les prétendus négocians, c’est-à-dire sur les escrocs qui, à l’aide des qualifications de banquiers, négocians et commissionnaires, usurpent la confiance publique, et font journellement des dupes parmi les véritables commerçans.
Les écrivains qui se sont spécialement occupés de recherches statistiques en ces matières, élèvent à vingt mille le chiffre des industriels de ce genre. Je veux bien admettre qu’il y ait quelque exagération dans ce calcul… » Les quelques lignes qui précédent commençaient le prospectus que je publiais lors de l’ouverture de mon établissement, et, comme on le voit, j’étais disposé à taxer d’exagération les écrivains qui élevaient à vingt mille le chiffre des industriels ; mais, maintenant, je suis forcé d’en convenir, ce chiffre, bien loin d’être exagéré, n’est que rigoureusement exact. Oui, vingt mille individus vivent, et vivent bien, aux dépens du commerce et de l’industrie. (Que ceux qui ne pourront ou ne voudront pas me croire, viennent me visiter, il ne me sera pas difficile de les convaincre.) Que l’on me permette donc de recommencer sur cette base nouvelle les calculs de mon prospectus. Nous fixons à 10 francs par jour la dépense de chaque individu, ce qui produit pour vingt mille :

Par jour. . . . . 200,000.
Par mois. . . .6,000,000.
Par an . . . . .70,200,000.

C’est donc un impôt annuel de 70,200,000 fr. que le commerce paie à ces Messieurs (et cette fois, je veux bien ne point parler des commissions qui sont allouées aux entremetteurs d’affaires, de la différence entre le prix d’achat et celui de vente.) L’œuvre de celui qui a diminué d’un tiers au moins ce chiffre énorme est-elle une œuvre sans valeur ? Je laisse aux hommes impartiaux et désintéressés le soin de répondre à cette question.
Je ne dois pas le cacher, mes premiers pas dans cette nouvelle carrière furent bien incertains ; tant de fripons avaient ouvert leur sac devant moi, que je croyais tout savoir : Errare hunanum est ! Pauvre homme que j’étais ! J’ai plus appris depuis trois ans que mon établissement existe, que pendant tout le temps que j’ai dirigé la police de sûreté. S’il voulait s’en donner la peine, le Vidocq d’aujoud’hui pourrait ajouter de nombreux chapitres au livre des Ruses des Escrocs et Filous, et jouer par dessous la jambe celui d’autrefois.
Les succès éclatans qui ont couronné mon entreprise, et m’ont engagé à marcher sans cesse vers le but que je voulais atteindre, malgré les clameurs des envieux et des sots, ont donné naissance à je ne sais combien d’agences, copies informes de ce que j’avais fait : Phare, Tocsin, Éclaireur, Gazette de Renseignemens, etc., etc. Il ne m’appartient pas de juger les intentions des personnes qui ont dirigé, ou qui dirigent encore ces divers établissemens, mais je puis constater ce qui n’est ignoré de personne ; le Phare est allé s’éteindre à Sainte-Pélagie, ses directeurs viennent d’être condamnés à une année d’emprisonnement, comme coupables d’escroquerie. Les affiches qui ont été placées à chaque coin de rue, ont permis à tout le monde d’apprécier à sa juste valeur le personnel des autres établissemens.
Pour qu’un établissement comme le Bureau de Renseignemens soit utile, il faut qu’il soit dirigé avec beaucoup de soin. S’il n’en était pas ainsi, les intérêts des tiers seraient gravement compromis ; un renseignement fourni trop tard pouvant faire manquer, au négociant qui l’a demandé, une affaire avantageuse. Si les chefs de l’établissement ne possèdent pas toutes les qualités qui constituent l’honnête homme, rien ne leur est plus facile que de s’entendre avec les Faiseurs, sur lesquels ils ne donneraient que de bons renseignemens. Cela, au reste, s’est déjà fait ; les affiches dont je parlais il n’y a qu’un instant le prouvent.
Pour éviter que de pareils abus ne se renouvellent, pour que les Escrocs ne puissent pas, lorsque je ne serai plus là pour m’opposer à leurs desseins, faire de nouvelles dupes, je donne mon établissement au commerce. Et, que l’on ne croie pas que c’est un présent de peu d’importance : j’ai, par jour, 100 francs au moins de frais à faire, ce qui forme un total annuel de 36,500 francs ; et, cependant, quoique je n’exige de mes abonnés et cliens que des rétributions modérées, basées sur l’importance des affaires qui me sont confiées, il me rapporte quinze à vingt mille francs par année de bénéfice net.
Et, néanmoins, je le répète, je ne demande rien, absolument rien ; je ne vends pas mon baume, je le donne, et cela, pour éviter que les Faiseurs, qui attendent avec impatience l’heure de ma retraite, ne puissent s’entendre avec les directeurs des agences qui seront alors simultanément établies.
Il a certes fallu que les services rendus par moi parlent bien haut, pour que, malgré les obstacles que j’ai dû surmonter, et les préjugés que j’ai eu à vaincre, je puisse, après seulement trois années d’exercice, avoir inscrit, sur mes registres d’abonnement, les noms de près de trois mille négocians recommandables de Paris, des départemens et de l’Étranger. Il n’est venu, cependant, que ceux qui étaient forcés par la plus impérieuse nécessité ; et, je dois en convenir, j’ai eu plus à réparer qu’à prévenir. Tels qui sont venus m’apprendre qu’ils avaient été dépouillés par tel ou tel Faiseur, dont le nom, depuis long-temps, était écrit sur mes tablettes, n’auraient pas échangé leurs marchandises ou leur argent contre des billets sans valeur, si, préalablement, ils étaient venus puiser des renseignemens à l’agence Vidocq.
Pour atteindre le but que je m’étais proposé, il fallait aussi vaincre cette défiance que des gens si souvent trompés, non-seulement par les Faiseurs, mais encore par ceux qui se proposent comme devant déjouer les ruses de ces derniers, doivent nécessairement avoir. Mais, j’avais déjà, lorsque je commençai mon entreprise, fait une assez pénible étude de la vie pour ne point me laisser épouvanter par les obstacles ; je savais que la droiture et l’activité doivent, à la longue, ouvrir tous les chemins. Je commençai donc, et mes espérances ne furent pas déçues ; j’ai réussi, du moins en partie.
A l’heure où nous sommes arrivés, je suis assez fort pour défier les Faiseurs les plus adroits et les plus intrépides de parvenir à escroquer un de mes cliens. Mais, le bien général n’a pas encore été fait ; il ne m’a pas été possible de faire seul ce que plusieurs auraient pu facilement faire. Aussi, il y a tout lieu de croire que les résultats seront plus grands et plus sensibles lorsque le Bureau de Renseignemens sera dirigé par le commerce, dont il sera la propriété.
Et cela est facile à concevoir, les préjugés alors n’arrêteront plus personne, et tous les jours on verra s’augmenter le nombre des abonnés ; car, quel est le négociant, quelque minime que soit son commerce, qui ne voudra pas acquérir, moyennant 20 francs par année, la faculté de pouvoir n’opérer qu’avec sécurité. Mais pourra-t-il compter sur cette sécurité qu’il aura payée, peu de chose, il est vrai, mais que, pourtant, il aura le droit d’exiger ? sans nul doute.
Le nombre des abonnés étant plus grand, beaucoup plus de Faiseurs seront démasqués ; car, il n’est pas présumable que les abonnés chercheront à cacher aux administrateurs le nom des individus par lesquels ils auraient été trompés. Tous les renseignemens propres à guider le commerce dans ses opérations, pourront donc être puisés à la même source, sans perte de temps, sans dérangement, ce qui est déjà quelque chose.
Mais on n’aurait pas atteint le but que l’on se propose, si l’on se bornait seulement à mettre dans l’impossibité de nuire les Faiseurs déjà connus, il faut que ceux qui se présenteraient avec un nom vierge encore, mais dont les intentions ne seraient pas pures, soient démasqués avant même d’avoir pu mal faire.
On ne se présente pas habituellement dans une maison pour y demander un crédit plus ou moins étendu, sans indiquer quelques-unes de ses relations. Celui qui veut acquérir la confiance d’un individu, qu’il se réserve de tromper plus tard, tient à ne point paraître tomber du ciel. Eh bien ! la nature de leurs relations donnera la valeur des hommes nouveaux, et ces diagnostics, s’ils trompent, tromperont rarement. Les chevaliers d’industrie, les Faiseurs, les escrocs forment une longue chaîne dont tous les anneaux se tiennent ; celui qui en connaît un, les connaîtra bientôt tous, s’il est doué d’une certaine perspicacité, et si le temps de monter à la source ne lui manque pas. Il ne faut, pour acquérir cette connaissance, que procéder par analogie et avec patience.
Si ma proposition est acceptée, on ne verra plus, à la honte du siècle, des hommes placés sur les premiers degrés de l’échelle sociale, et qui possèdent une fortune indépendante, servir de compères à des escrocs connus, partager les dépouilles opimes d’un malheureux négociant, et se retirer, lorsqu’arrivent les jours d’échéance, derrière un rideau que, jusques à présent, personne encore n’a osé déchirer. Lorsqu’ils pourront craindre de voir leur nom cloué au pilori de l’opinion publique, ils se retireront, et les Faiseurs auront perdu leurs premiers élémens de succès.
Les Faiseurs, chassés de Paris, exploiteront les départemens et les pays étrangers ? Mais, rien n’empêche que la correspondance déjà fort étendue du Bureau de Renseignemens ne reçoive encore de l’extension, et que ce qui aura été fait pour Paris ne soit fait pour les départemens et l’Étranger. Cela sera plus difficile, sans doute, mais non pas impossible.
En un mot, j’ai la ferme conviction, et cette conviction est basée sur une expérience de plusieurs années, que le Bureau de Renseignemens établi sur une vaste échelle, et placé sous le patronage d’hommes connus et honorables, est destiné à devenir la sauve-garde du commerce et de l’industrie, et doit anéantir à jamais les sangsues qui pompent sa substance.
Je me chargerai avec plaisir de la première organisation ; et, maintenant que le navire est en pleine mer, qu’il n’y a plus qu’à marcher sur une route tracée, il ne sera pas difficile de trouver des hommes intelligents et très-capables de conduire cette machine dont le mécanisme est peu compliqué. Un comité spécial, composé des plus notables abonnés, pourrait, au besoin, être chargé de surveiller la gestion des administrateurs qui seraient choisis. Envisagée sous le rapport des bénéfices qu’elle peut produire, l’opération que je propose ne perd rien de son importance. C’est ce qu’il me serait facile de prouver par des chiffres, si des chiffres étaient du domaine de ce livre.
Je ne sais si je me trompe, mais j’ai l’espérance que ma voix ne sera pas étouffée avant de s’être fait entendre ; j’ai trop franchement expliqué mes intentions pour qu’il soit possible de croire que l’intérêt est ici le mobile qui me fait agir.
Je ne me serais pas, il y a quelque temps, exprimé avec autant d’assurance ; mais, maintenant que l’expérience m’a instruit, je puis, je le répète, défier le premier Faiseur venu, de tromper un de mes abonnés. Aussi ai-je acquis le droit de m’étonner que tout ce qu’il y a en France d’honorables négocians ne soit pas encore abonné.
Depuis que j’exerce, les Faiseurs ont perdu le principal de leurs élémens de succès, c’est-à-dire l’audace qui les caractérisait ; mon nom est devenu pour eux la tête de Méduse, et peut-ètre qu’il suffirait, pour être constamment à l’abri de leurs tentatives et de leurs atteintes, de placer, dans le lieu le plus apparent de son domicile, une plaque à-peu-près semblable à celles des compagnies d’assurances contre l’incendie, sur laquelle on lirait ces mots : Vidocq ! Assurance contre les Faiseurs, seraient écrits en gros caractères.
Cette plaque, j’en ai l’intime conviction, éloignerait les Faiseurs des magasins dans lesquels elle serait placée. Le négociant ne serait plus exposé à se laisser séduire par les manières obséquieuses des Faiseurs ; il ne serait plus obligé de consacrer souvent trois ou quatre heures de son temps à faire inutilement l’article.
Cette plaque, je le répète, éloignerait les Faiseurs. Je ne prétends pas dire, cependant, qu’elle les éloignerait tous ; mais, dans tous les cas, le négociant devrait toujours prendre des renseignemens. Il résulterait donc de l’apposition de cette plaque au moins une économie de temps qui suffirait seule pour indemniser le négociant abonné de la modique somme payée par lui.
Les Faiseurs peuvent être divisés en deux classes : la première n’est composée que des hommes capables de la corporation, qui opèrent en grand ; la seconde se compose de ces pauvres diables que vous avez sans doute remarqués dans l’allée du Palais-Royal qui fait face au café de Foi. Le Palais-Royal est, en effet, le lieu de réunion des Faiseurs du dernier étage. À chaque renouvellement d’année, à l’époque où les arbres revêtent leur parure printanière, on les voit reparaître sur l’horizon, pâles et décharnés, les yeux ternes et vitreux, cassés, quoiques jeunes encore, toujours vêtus du même costume, toujours tristes et soucieux, ils ne font que peu ou point d’affaires, leur unique métier est de vendre leur signature à leurs confrères de la haute.
Les Faiseurs de la haute sont les plus dangereux, aussi, je ne m’occuperai que d’eux. J’ai dit des derniers tout ce qu’il y avait à en dire.
Tous les habitans de Paris ont entendu parler de la maison H… et Compagnie, qui fut établie dans le courant de l’année 1834, rue de la Chaussée d’Antin, n° 11. L’établissement de cette maison, qui se chargeait de toutes les opérations possibles, consignations, expéditions, escompte et encaissement, exposition permanente d’objets d’art et d’industrie, causa dans le monde commercial une vive sensation. Jamais entreprise n’avait, disait-on, présenté autant d’éléments de succès. La Société française et américaine publiait un journal, ordonnait des fêtes charmantes, dont M. le marquis de B… faisait les honneurs avec une urbanité tout-à-fait aristocratique. Il n’en fallait pas davantage, le revers de la médaille n’étant pas connu, pour jeter de la poudre aux yeux des plus clairvoyants. H…, comme on l’apprit trop tard, n’était que le prête-nom de R…, Faiseur des plus adroits, précédemment reconnu coupable de banqueroute frauduleuse, et, comme tel, condamné à douze années de travaux forcés.
Après avoir fait un grand nombre de dupes, R… et consorts disparurent, et l’on n’entendit plus parler d’eux.
Peu de temps après la déconfiture de la maison H… et Compagnie, une maison de banque fut établie à Boulogne-sur-Mer, sous la raison sociale Duhaim Père et Compagnie. Des circulaires et des tarifs et conditions de recouvremens furent adressés à tous les banquiers de la France. Quelques-uns s’empressèrent d’accepter les propositions avantageuses de la maison Duhaim Père et Compagnie, et mal leur en advint. Lorsqu’ils furent bien convaincus de leur malheur, ils vinrent me consulter. La contexture des pièces, et l’écriture des billets qu’ils me remirent entre les mains, me suffit pour reconnaître que le prétendu Duhaim père n’était autre que R... Je me mis en campagne, et bientôt un individu qui avait pu se soustraire aux recherches de toutes les polices de France, fut découvert par moi, et mis entre les mains de la justice. L’instruction de son procès se poursuit maintenant à Boulogne-sur-Mer.
R… est, sans contredit, le plus adroit de tous les Faiseurs, ses capacités financières sont incontestables, et cela est si vrai que, nonobstant ses fâcheux antécédens, plusieurs maisons de l’Angleterre, où il avait exercé long-temps, qui désiraient se l’attacher, lui firent, à diverses reprises, des offres très-brillantes. R… est maintenant pour long-temps dans l’impossibilité de nuire, mais il ne faut pas pour cela que les commerçans dorment sur leurs deux oreilles, R… a laissé de dignes émules ; je les nommerais si cela pouvait servir à quelque chose, mais ces Messieurs savent, suivant leurs besoins, changer de nom aussi souvent que de domicile.
Les Faiseurs qui marchent sur les traces de R… procèdent à-peu-près de cette manière :
Ils louent dans un quartier commerçant un vaste local qu’ils ont soin de meubler avec un luxe propre à inspirer de la confiance aux plus défians, leur caissier porte souvent un ruban rouge à sa boutonnière, et les allans et venans peuvent remarquer dans leurs bureaux des commis qui paraissent ne pas manquer de besogne. Des ballots de marchandises, qui semblent prêts à être expédiés dans toutes les villes du monde, sont placés de manière à être vus ; souvent aussi des individus chargés de sacoches d’argent viennent verser des fonds à la nouvelle maison de banque. C’est un moyen adroit d’acquérir dans le quartier cette confiance qui ne s’accorde qu’à celui qui possède.
Après quelques jours d’établissement la maison adresse des lettres et des circulaires à tous ceux avec lesquels elle désire se mettre en relation ; c’est principalement aux nouveaux négocians qu’ils s’adressent, sachant bien que ceux qui n’ont pas encore acquis de l’expérience à leurs dépens seront plus faciles à tromper que tous les autres. Au reste, jamais le nombre des lettres ou circulaires à expédier n’épouvante un de ces banquiers improvisés. On en cite un qui mit le même jour six cent lettres à la poste.
En réponse aux offres de service du Faiseur banquier, on lui adresse des valeurs à recouvrer, à son tour aussi il en retourne sur de bonnes maisons parmi lesquelles il glisse quelques billets de bricole, les bons font passer les mauvais, et comme ces derniers, aussi bien que les premiers, sont payés à l’échéance par des compères apostés dans la ville où ils sont indiqués payables, des noms inconnus acquièrent une certaine valeur dans le monde commercial, ce qui doit faciliter les opérations que le Faiseur prémédite.
Le Faiseur qui ne veut point paraître avoir besoin d’argent, ne demande point ses fonds de suite, il les laisse quelque temps entre les mains de ses correspondans.
Les Faiseurs ne négligent rien pour acquérir la confiance de leurs correspondans ; ainsi, par exemple, un des effets qu’ils auront mis en circulation ne sera pas payé, et l’on se présentera chez eux pour en opérer le recouvrement, alors ils n’auront peut-être pas de fonds pour faire honneur à ce remboursement imprévu, mais ils donneront un bon sur des banquiers famés qui s’empresseront de payer pour eux, par la raison toute simple que préalablement des fonds auront été déposés chez eux à cet effet.
Lorsque le Faiseur-Banquier a reçu une certaine quantité de valeurs, il les encaisse ou les négocie, et en échange il retourne des billets de bricole tirés souvent sur des êtres imaginaires ou sur des individus qui jamais n’ont entendu parler de lui.
L’unique industrie d’autres Faiseurs est d’acheter des marchandises à crédit. Pour ne point trop allonger cet article, j’ai transporté les détails qui les concernent à l’article Philibert.

Halbert, 1849 : Commerçant.

Larchey, 1865 : « On entend par faiseur l’homme qui crée trop, qui tente cent affaires sans en réussir une seule, et rend souvent la confiance publique victime de ses entraînements. En général, le faiseur n’est point un malhonnête homme ; la preuve en est facile à déduire ; c’est un homme de travail, d’activité et d’illusions ; il est plus dangereux que coupable, il se trompe le premier en trompant autrui. » — Léo Lespès. On connaît la pièce de Balzac, mercadet le faiseur. Son succès a été tel, qu’elle a doté le mot faiseur d’un synonyme nouveau. On dit un mercadet. — pour Vidocq, le faiseur n’est qu’un escroc et un chevalier d’industrie. — on dit aussi c’est un faiseur, d’un écrivain qui travaille plus pour son profit que pour sa gloire.

Delvau, 1866 : s. m. Type essentiellement parisien, à double face comme Janus, moitié escroc et moitié brasseur d’affaires, Mercadet en haut et Robert Macaire en bas, justiciable de la police correctionnelle ici et gibier de Clichy là — coquin quand il échoue, et seulement audacieux quand il réussit. Argot des bourgeois.

Rigaud, 1881 : Terme générique servant à qualifier tout commerçant qui brasse toutes sortes d’affaires, qui se jette à tort et à travers dans toutes sortes d’entreprises. — Exploiteur, banquiste raffiné. Le vrai faiseur trompe en général tout le monde ; il fait argent de tout ; un jour il est à la tête du pavage en guttapercha, le lendemain il a obtenu la concession des chemins de fer sous-marins ou celles des mines de pains à cacheter. Les gogos sont les vaches laitières des faiseurs. Dans la finance, ils sont les saltimbanques de la banque. Ils font des affaires comme au besoin ils feraient le mouchoir. Il existe des faiseurs dans tous les métiers qui touchent au commerce, à l’art, à l’industrie, à la finance.

Il a été dernièrement commandé à Lélioux un roman par un faiseur ; j’y travaille avec lui.

(H. Murger, Lettres)

On a l’exemple de faiseurs parvenus à la fortune, à une très grande fortune : décorés, administrateurs de chemin de fer, députés, plusieurs fois millionnaires. Féroce alors pour ses anciens confrères, le faiseur les traite comme Je sous-officier qui a obtenu l’épaulette traite le soldat, comme traite ses servantes la domestique qui a épousé son maître.

La Rue, 1894 : Exploiteur. Escroc.

Hayard, 1907 : Escroc.

France, 1907 : Chevalier d’industrie, banquiste, brasseur d’affaires plus ou moins louches, Alfred Delvau dit que le faiseur est un type essentiellement parisien ; il est certain que Paris est la ville du monde qui contient le plus de faiseurs. Le mot n’est pas moderne. Le général Rapp, dans ses Mémoires, le met dans la bouche de Napoléon :

Il travaillait avec Berthier. Je lui appris les succès du grand-duc et la déroute de Tauenzien.
— Tauenzien ! reprit Napoléon, un des faiseurs prussiens ! C’était bien la peine de tant pousser à la guerre !

Faiseur d’anges

France, 1907 : Médecin avorteur.

Comment osait-il lui proposer cette infamie, la pousser plus bas encore qu’elle n’était tombée ? Comment avait-il pu s’imaginer qu’elle obéirait à de si abjectes suggestions, qu’elle abdiquerait toute pudeur, qu’elle consentirait à livrer son corps aux mains destructrices d’un faiseur d’anges, aux attouchements odieux d’un médecin qui ricane, qui marmonne d’équivoques paroles !

(René Maizeroy, Les Parisiennes)

Fantasia (faire la)

France, 1907 : Faire du bruit avec grand déploiement de costumes, à la façon des Arabes qui, dans les noces et à certaines fêtes, tirent des coups de fusil et déploient leurs brillants oripeaux. C’est faire, en un mot, plus de bruit que de besogne.
La fantasia est une course de chevaux particulière aux Arabes, une fête à cheval en guerre comme en paix.
La course se fait soit en ligne, soit par groupes de cavaliers, soit un à un. Au signal donné, on s’élance au galop en poussant le cri de guerre, chacun décharge son arme, et, debout sur les étriers, lance son fusil en l’air et le rattrape, toujours chargeant avec une merveilleuse dextérité. Aux noces, aux fêtes de la tribu, la fantasia s’exécute près des tentes devant les femmes réunies qui acclament les cavaliers par des you you prolongés.

Fantasia ! Fantasia ! les coups de feu se précipitent. Les cavaliers s’ébranlent ; les longs chelils de soie aux franges d’or flottent sur les croupes ; les fusils jetés en l’air retombent dans les mains habiles ; jeunes et vieux, courbés sur les encolures, sont lancés au galop et, suivis des éclats stridents des femmes, disparaissent dans les tourbillons de sable jaune. Et dans les grandes lignes dorées de la plaine on voit fuir les couples d’autruches et bondir les troupeaux d’antilopes et de gazelles.

(Hector France, L’Amour au pays bleu)

Ficelle

d’Hautel, 1808 : Être ficelle. Métaphore populaire qui signifie friponner avec adresse.
Un ficelle. Escroc ; homme fort enclin à la rapine. En ce sens, ce mot est toujours masculin.

Larchey, 1865 : Chevalier d’industrie.

Cadet Roussel a trois garçons : L’un est voleur, l’autre est fripon. Le troisième est un peu ficelle.

(Cadet Roussel, chanson, 1793, Paris, impr. Daniel)

Larchey, 1865 : Procédé de convention, acte de charlatanisme. M. Reboux a publié, en 1864, Les Ficelles de Paris.

M. M…, pour animer la statuaire, emprunte a la peinture quelques-uns de ses procédés ; je n’oserais l’en blâmer, si l’austérité naturelle de ce grand art ne repoussait point les ficelles.

(Ch. Blanc)

Mais il n’est pas en relation avec les directeurs, et d’ailleurs il n’est pas outillé pour le théâtre ; il ne connaît pas les ficelles de la scène.

(Privat d’Anglemont)

Ferdinand lui indiqua plusieurs recettes et ficelles pour différents styles, tant en prose qu’en vers.

(Th. Gautier, 1833)

Delvau, 1866 : adj. et s. Malin, rusé, habile à se tirer d’affaire, — dans l’argot du peuple, qui a gardé le souvenir de la chanson de Cadet-Rousselle :

Cadet Rousselle a trois garçons,
L’un est voleur, l’autre est fripon,
Le troisième est un peu ficelle…

Cheval ficelle. Cheval qui « emballe » volontiers son monde, — dans l’argot des maquignons.

Delvau, 1866 : s. f. Secret de métier, procédé particulier pour arriver à tel ou tel résultat, — dans l’argot des artistes et des ouvriers.

Rigaud, 1881 : Filou prudent. Un homme ficelle se prête à toutes les malhonnêtetés qui échappent à l’action de la loi.

Rigaud, 1881 : Mensonge transparent, petite ruse. — Ruses d’un métier.

À la ville, ficelle signifie une ruse combinée maladroitement. — Au théâtre, ficelle exprime un moyen déjà employé, connu, usé, qui sert à amener une situation ou un dénoûment quelconque mais prévu.

(J. Noriac, Un Paquet de ficelles)

Tous les métiers ont leurs ficelles. Connaître toutes les ficelles d’un métier, c’est le connaître à fond, en connaître toutes les ruses, tous les fils qui le font mouvoir.

La Rue, 1894 : Ruse, malice. Secret de métier.

Virmaître, 1894 : Être ficelle, malin, rusé, employer toutes sortes de ficelles pour réussir dans une affaire.
— Je la connais, vous êtes trop ficelle pour ma cuisine.
— Vous ne me tromperez pas, je vois la ficelle (Argot du peuple).

Rossignol, 1901 : Rusé.

France, 1907 : Escroc, chevalier d’industrie.

Cadet Rousselle a trois garçons :
L’un est voleur, l’autre est fripon,
Le troisième est un peu ficelle,
Il ressemble à Cadet Rousselle,
Ah ! ah ! ah ! mais vraiment,
Cadet Rousselle est bon enfant.

(Chanson populaire, 1792)

La femme. — Et tantôt, deux heures avant de mourir, il me le disait encore : « Le portefeuille est là… tout ce qu’il y a dedans, ça sera pour vous. » Vieille canaille ! vieille ficelle !
L’homme. — Et voilà deux ans qu’il nous la répète, cette phrase-là. C’est avec ça qu’il nous a lanternés, parbleu ! Il s’est fait soigner pendant deux ans à l’œil…

(Maurice Donnay)

France, 1907 : Truc de métier, ruse, procédé, charlatanisme.

Aussi me semble-t-il même superflu de dénier à M. Ohnet les qualités de composition qu’on lui à reconnues. Je veux bien qu’il soit maître dans l’art de charger un roman comme les anarchistes chargent une bombe, avec de gros clous, de la menuaille et des poudres détonantes. Sa mèche est une ficelle.

(Le Journal)

Saluons ! C’est ici que trône et règne majestueusement la ficelle ; voici le restaurant. — Flanqué de deux mensonges, sa vitrine et sa carte, il vous attend entre deux pièges : payer trop ou manger mal ; défilé des Thermopyles, dans lequel tant d’étrangers succombent !

(Charles Reboux, Les Ficelles de Paris)

Le monde est une corderie,
Car la ficelle est notre amie ;
On voit que, dans chaque métier,
L’homme veut devenir cordier,
C’est le refrain du monde entier.
Ficelle, ficelle,
Méthode la plus belle.
Sans ficelle on n’a pas
Le bonheur ici-bas.

(Émile Durafour, Les Ficelles du monde)

Ficher la colle gourdement

Halbert, 1849 : Être bon trucheur en perfection.

Fil

d’Hautel, 1808 : Avoir le fil. Être fin, adroit et audacieux ; enjôler, duper le mieux du monde.
Il faut prendre ses précautions avec cet homme ; il a un bon fil, un fameux fil, un vieux fil. Se dit d’un homme rusé, d’un fin matois, d’un entremetteur, qui ne se retire jamais d’une affaire les mains nettes.
Des malices cousues de fil blanc. Pièges maladroits, tours mal combinés, attrapes grossières.
De fil en aiguille. Pour, d’un propos à l’autre.
Donner du fil à retordre. Tourmenter, donner de la peine à quelqu’un, le contrecarrer dans ses projets.

Delvau, 1866 : s. m. Adresse, habileté, — dans l’argot du peuple, qui assimile l’homme à un couteau et l’estime en proportion de son acuité. Avoir le fil. Savoir comment s’y prendre pour conduire une affaire. Connaître le fil. Connaître le truc. On dit aussi d’une personne médisante ou d’un beau parleur : C’est une langue qui a le fil.

Rigaud, 1881 : Au théâtre, toutes les cordes ont reçu le nom de fils. — Descendre un fil, descendre une corde qui supporte les amours dans les féeries.

La Rue, 1894 : Cheveu. Fil bis. Cheveu blanc.

France, 1907 : Adresse. N’avoir pas inventé le fil à couper le beurre, manquer d’intelligence, d’initiative.

France, 1907 : Cheveu. « Le roquentin avait même plus de fil sur la bobine. »

France, 1907 : Cordon de concierge.

— Nous avons nos moyens à nous, dit en ricanant Peau-de-Zébi, nous pouvons venir chez les amis sans déranger personne… pas besoin d’éveiller le lourdier pour lui demander le fil…

(Edmond Lepelletier)

Flanche

Clémens, 1840 : Pas.

un détenu, 1846 : Chose mauvaise, de mauvais goût.

Larchey, 1865 : Jeu de roulette. — Flancher : Jouer franchement (Vidocq). — Flancher, Flacher : Plaisanter (Bailly). — Flanche : Plaisanterie.

Delvau, 1866 : s. f. La roulette et le trente-et-un, — dans l’argot des voleurs. Grande flanche. Grand jeu.

Delvau, 1866 : s. m. Affaire, — dans le même argot [des voleurs]. S’emploie ordinairement avec l’adjectif comparatif mauvais. « C’est un mauvais flanche », pour : C’est une mauvaise affaire.

Delvau, 1866 : s. m. Truc, secret, ruse, — dans l’argot des faubouriens.

Rigaud, 1881 : Jeu ; ruse ; plaisanterie. — Affaire. — Reculade. — Grande flanche, jeu de la roulette, jeu du trente et quarante.

La Rue, 1894 : Jeu, ruse, plaisanterie. Affaire. Peur, reculade. Pas. Flancher, jouer, se moquer, reculer, s’effrayer, tricher.

Virmaître, 1894 : Affaire.
— Si tu veux, mon vieil aminche, nous avons un rude flanche en vue ?
— Je le connais ton flanche à la manque (Argot des voleurs).

France, 1907 : Affaire, truc, ruse, secret. Un sale flanche, une mauvaise affaire. Connaître le flanche, connaître son affaire. C’est flanche, tout va bien. Accoucher d’un flanche, écrire un article.

Il va pistonner un journaleux qui accoucha d’un flanche dégueulasse.

(La Sociale)

France, 1907 : Jeu de cartes. La grande flanche, la roulette et le trente et un. « J’ai joué la grande flanche. »

Football

France, 1907 : Jeu de la balle au pied ; anglicisme. C’est l’ancien jeu de la barette, que les Parisiens appelaient rabotte, et les Bretons la soule ou la nielle.
Les épreuves du football, où les représentants du Stade français ont été battus par les délégués du Rosslyn Park Foothall Club, de Londres, ont mis en lumière ce jeu brutal, et peu en honneur jusqu’à ce jour en France.
On a dit que c’était un jeu viril et, en somme, sans grand danger.
Le relevé des accidents arrivés de l’autre côté de la Manche, au jeu en question, suffira à édifier sur la « virilité sans danser » du football, au moins pour les trois années 1890 à 1892.
Qu’on en juge par ce tableau instructif :

189018911892
Morts232226
Jambes cassées305239
Bras cassés91212
Clavicules cassées111825
Blessures diverses275675
Totaux100160177

Soit, au total, pour trois saisons de six mois chacune, le chiffre aimable de 437 décès et blessés graves en général.
Et encore ne saurait-on dire que cette liste soit complète : on ne trouve là que la liste des blessures trop graves pour être cachées. Seuls les secrétaires de sociétés de football pourraient donner les chiffres exacts.

Fourbi

Vidocq, 1837 : s. m. — Toute espèce de jeu qui cache un piège.

(Le Jargon, ou Langage de l’Argot moderne)

Clémens, 1840 : Poste, emploi ; on le dit assez aussi quand on a un mauvais jeu : Quel mauvais fourbi !

Delvau, 1866 : s. m. Piège ; malice, — dans l’argot du peuple, qui ne sait pourtant pas que le fourby (le Trompé) était un des 214 jeux de Gargantua. Connaître le fourbi. Être malin. Connaître son fourbi. Être aguerri contre les malices des hommes et des choses.

Rigaud, 1881 : Petite filouterie ; peccadille ; maraudage ; pour fourberie. — Connaître le fourbi, connaître une foule de petites ficelles, de trucs à l’usage des militaires peu scrupuleux, — en terme de troupiers.

Merlin, 1888 : Du vieux mot français fourby, espèce de jeu. Fourbi a deux acceptions : tantôt il veut dire : détournement, gain illicite ; tantôt : choses, travaux, matériel, etc.

La Rue, 1894 : Piège, malice. Métier. Jeu. Ficelle. Truc. Petit bénéfice plus ou moins licite.

Virmaître, 1894 : Piège, malice. A. D. C’est une erreur. Cette expression très usitée vient du régiment, où le caporal chargé de l’ordinaire gratte sur la nourriture des hommes. Fourbi signifie bénéfice (Argot du peuple). N.

Rossignol, 1901 : Ce que l’on possède.

J’ai mis tout mon fourbi dans une malle.

Hayard, 1907 : Voir flambeau et flanche.

France, 1907 : Affaire, travail. Connaître le fourbi, être malin, habile.

Oui, ça prouve, nom de Dieu ! que quoi qu’on dise, les idées ont marché. Le populo en a plein le cul, de turbiner pour les richards, il voudrait à son tour flânocher un brin. Seulement il s’y prend mal ; sale fourbi que celui de huit heures.
Comprends-moi bien, petit : je ne suis pas contre. Foutre non ! moins les pauvres bougres bûcheront, plus il leur restera de temps pour ruminer sur leur sort.

(Père Peinard)

Y en a qui font la mauvais’ tête,
Au régiment ;
I’s tir’ au cul, i’s font la bête
Inutil’ment ;
Quand i’s veul’nt pus fair’ l’exercice
Et tout l’fourbi,
On les envoi’ fair’ leur service
À Biribi.

(Aristide Bruant)

France, 1907 : Petit larcin, volerie, rapine : mot rapporté par les soldats d’Afrique.

— Dans les hospices ils s’entendent bien pour faire du fourbi aux dépens des malades ! dit Peau-de-Zébi sentencieusement, renversant en arrière sa chéchia comme pour accentuer son opinion.

(Edmond Lepelletier)

Les fourriers qui, en faisant la distribution de vin ou d’eau-de-vie, mettent leur pouce dans le quart distributeur, commettent un petit fourbi.
Mais il en est de gros et ils ont des conséquences graves. Je pourrai citer l’exemple des godillots à semelles de carton qu’on donna à plusieurs régiments pendant la malheureuse guerre de 1870 ; mais ces temps sont encore trop proches ; qu’il me suffise de raconter celui que rapporte le Mémorial de Sainte-Hélène pendant la campagne d’Égypte.

C’était l’apothicaire en chef de l’armée. On lui avait accordé cinq chameaux pour apporter du Caire les médicaments nécessaires pendant l’expédition de Syrie. Cet infâme eut la scélératesse de les charger de vin, de sucre, de café, de comestibles qu’il vendit dans le désert à des prix très élevés. Quand le général Bonaparte sut la fraude, il devint furieux, et le misérable fut condamné à être fusillé. C’était beaucoup trop d’honneur, il devait mourir sous la bastonnade pour assassinats prémédités, car il avait spéculé sur la vie des malades. Des centaines d’entre eux ont péri faute de médicaments. On leur donnait une boisson nauséabonde, faite avec des feuilles, pour leur faire croire qu’ils prenaient quelque remède…

(A. Longuet, Méditations de caserne)

Gabier volant

France, 1907 : Matelot employé dans les arsenaux maritimes.

Il est toutefois des ateliers qui font exception, et dont les ouvriers possèdent des idées bien arrêtées sur leurs devoirs et même une instruction assez étendue : ainsi l’artillerie, les boussoles, la sculpture, les modèles occupent des hommes fort au-dessus de la masse, et quelquefois très distingués sous tous les rapports. Enfin, beaucoup de vieux matelots, sous le nom de gabiers volants, sont compris dans la catégorie des ouvriers ; ils sont employés à bord des navires en commission, aident aux travaux d’armement, ou confectionnent le gréement dans les magasins de la garniture. Ceux-là ne perdent point leur caractère primitif, ils restaient ce qu’ils ont toujours été depuis leur temps de mousse.

(G. de La Landelle)

Gaffe de sorgue

Virmaître, 1894 : Gardien de marché ou surveillant de maisons en construction. Autrefois, c’étaient des invalides qui remplissaient ces fonctions (Argot des voleurs).

France, 1907 : Gardien de nuit.

Gambergement

Rossignol, 1901 : Truc. Combinaison qui se trouve dans les jeux de hasard où il n’y a rien a toucher ; le gambergement se fait de lui-même.

Gargot

Delvau, 1866 : s. m. Petit restaurant où l’on mange à bon marché et mal. On dit aussi Gargote.

Rigaud, 1881 : Entrepreneur d’abatage pour bouchers et charcutiers. Celui qui débite de la viande aux bouchers et aux charcutiers.

Rigaud, 1881 : Restaurant de bas étage.

France, 1907 : Petit restaurant. Abréviation de gargotte, du latin gargustium, mauvaise hôtellerie. Le Duchat fait venir ce mot de l’allemand Garküche, cuisine toujours prête.

Elle tenait un gargot
À Maisons-Laffitte,
Chez elle le cheminot
Trouvait table et gîte.

(Jules Célès)

On appelle aussi gargot le restaurateur.

Un autre fourbi qui se pratique en grand dans les prisons de la Seine, c’est ce qu’on pourrait appeler « le truc des quartiers d’hiver ».
Quand le frio s’amène, le pauvre bougre qui se trouve sans feu ni lieu se fait poisser pour une couillonnade quelconque. Habituellement, le type s’en va dans une gargotte, s’appuie un bon gueuleton et, quand vient le quart d’heure de Rabelais, il appelle le patron et le prie d’aller quérir les sergots.
Si le purotin est par hasard tombé sur un bon frère qui l’envoie se faire pendre ailleurs, il en est quitte pour recommencer chez le gargot d’à côté. La muflerie commerçante est si répandue qu’il est rare que l’empileur ait besoin de s’y reprendre à trois fois.

(La Sociale)

Gastadour

France, 1907 : Destructeur, pillard. Vieux mot.


Argot classique, le livreTelegram

Dictionnaire d’argot classique