Entrez le mot à rechercher :
  Mots-clés Rechercher partout 


Abbaye de Monte-à-Regret

Bras-de-Fer, 1829 : Guillotine.

Vidocq, 1837 : ou de Monte-à-Rebours, s. f. — Nos romanciers modernes, Victor Hugo même, qui, dans le Dernier Jour d’un Condamné, paraît avoir étudié avec quelque soin le langage bigorne, donnent ce nom à la Guillotine, quoiqu’il soit bien plus ancien que la machine inventée par Guillotin, et qu’il ne s’applique qu’à la potence ou à l’échafaud.
Celui qui jadis était condamné à passer tous ses jours à la Trappe ou aux Camaldules, ne voyait pas sans éprouver quelques regrets se refermer sur lui les portes massives de l’abbaye. La potence était pour les voleurs ce que les abbayes étaient pour les gens du monde ; l’espoir n’abandonne qu’au pied de l’échafaud celui qui s’est fait à la vie des prisons et des bagnes ; les portes d’une prison doivent s’ouvrir un jour, on peut s’évader du bagne ; mais lorsque le voleur est arrivé au centre du cercle dont il a parcouru toute la circonférence, il faut qu’il dise adieu à toutes ses espérances, aussi a-t-il nommé la potence l’Abbaye de Monte-à-Regret.

un détenu, 1846 : Échafaud.

Halbert, 1849 : L’échafaud.

Larchey, 1865 : Échafaud (Vidocq). — Double allusion. — Comme une abbaye, l’échafaud vous sépare de ce bas monde, et c’est à regret qu’on en monte les marches.

Delvau, 1866 : s. f. L’échafaud, — dans l’argot des voleurs, qui se font trop facilement moines de cette Abbaye que la Révolution a oublié de raser.

Rigaud, 1881 : L’ancienne guillotine, — dans le langage classique de feu les pères ignobles de l’échafaud. Terrible abbaye sur le seuil de laquelle le condamné se séparait du monde et de sa tête.

La Rue, 1894 : L’échafaud.

Virmaître, 1894 : La guillotine. L’expression peut se passer d’explications : ceux qui y montent le font sûrement à regret (Argot des voleurs).

Rossignol, 1901 : La guillotine. Cette désignation n’a plus raison d’être depuis 1871, époque à laquelle les treize marches pour y monter ont été supprimées.

Hayard, 1907 : L’échafaud.

France, 1907 : La potence ou l’échafaud.

Comme une abbaye l’échafaud sépare de ce monde, et c’est à regret qu’on monte les marches.

(Lorédan Larchey)

Mon père a épousé la veuve, moi je me retire à l’Abbaye de Monte-à-regret.

(Victor Hugo, Le Dernier jour d’un condamné)

Les voleurs appellent encore l’échafaud Abbaye de Saint Pierre, la guillotine étant autrefois placée sur cinq pierres, devant la Roquette.

Abruti de Chaillot

France, 1907 : Lourdaud, tête de pioche. Cette expression est très vieille ; on disait autrefois :

Aheury de Chaliéau,
Tout estourdy sortant du bateau.

Cette expression vient évidemment de l’époque où Chaillot, avant d’être un faubourg de Paris, était un petit village tourné en ridicule par les citadins.
On connait l’air étonné et ahuri des paysans qui arrivent pour la première fois dans une grande ville, et si ceux de Chaillot ont eu les honneurs du proverbe, c’est sans doute pour l’unique raison que Chaliéau rimait à peu près avec bateau, ou qu’il est peut-être le plus ancien village de la Seine.
Quant au mot aheury, il appartient, suivant Ch. Nodier, au patois de Paris et de sa banlieue, et parait être une onomatopée des sons que font entendre les campagnards dans l’ébahissement.
Il convient d’ajouter, avec Lorédan Larchey, que le village de Chaillot fut toujours le point de mire des mauvais plaisants. Quand on parlait d’une Agnès de Chaillot, c’était pour désigner une fille suspecte.
On dit : « À Chaillot, les gêneurs ! »

Arguche

Raban et Saint-Hilaire, 1829 : Argot. Jaspiner arguche, parler argot.

Vidocq, 1837 : s. m. abst. — Argot. Jargon des voleurs et des filous, qui n’est compris que par eux seuls ; telle est du moins la définition du Dictionnaire de l’Académie. Cette définition ne me paraît pas exacte ; argot, maintenant, est plutôt un terme générique destiné à exprimer tout jargon enté sur la langue nationale, qui est propre à une corporation, à une profession quelconque, à une certaine classe d’individus ; quel autre mot, en effet, employer pour exprimer sa pensée, si l’on veut désigner le langage exceptionnel de tels ou tels hommes : on dira bien, il est vrai, le jargon des petits-maîtres, des coquettes, etc., etc., parce que leur manière de parler n’a rien de fixe, d’arrêté, parce qu’elle est soumise aux caprices de la mode ; mais on dira l’argot des soldats, des marins, des voleurs, parce que, dans le langage de ces derniers, les choses sont exprimées par des mots et non par une inflexion de voix, par une manière différente de les dire ; parce qu’il faut des mots nouveaux pour exprimer des choses nouvelles.
Toutes les corporations, toutes les professions ont un jargon (je me sers de ce mot pour me conformer à l’usage général), qui sert aux hommes qui composent chacune d’elles à s’entendre entre eux ; langage animé, pittoresque, énergique comme tout ce qui est l’œuvre des masses, auquel très-souvent la langue nationale a fait des emprunts importans. Que sont les mots propres à chaque science, à chaque métier, à chaque profession, qui n’ont point de racines grecques ou latines, si ce ne sont des mots d’argot ? Ce qu’on est convenu d’appeler la langue du palais, n’est vraiment pas autre chose qu’un langage argotique.
Plus que tous les autres, les voleurs, les escrocs, les filous, continuellement en guerre avec la société, devaient éprouver le besoin d’un langage qui leur donnât la faculté de converser librement sans être compris ; aussi, dès qu’il y eut des corporations de voleurs, elles eurent un langage à elles, langage perdu comme tant d’autres choses.
Il n’existe peut-être pas une langue qui ait un point de départ connu ; le propre des langues est d’être imparfaites d’abord, de se modifier, de s’améliorer avec le temps et la civilisation ; on peut bien dire telle langue est composée, dérive de telles ou telles autres ; telle langue est plus ancienne que telle autre ; mais je crois qu’il serait difficile de remonter à la langue primitive, à la mère de toutes ; il serait difficile aussi de faire pour un jargon ce qu’on ne peut faire pour une langue ; je ne puis donc assigner une date précise à la naissance du langage argotique, mais je puis du moins constater ces diverses époques, c’est l’objet des quelques lignes qui suivent.
Le langage argotique n’est pas de création nouvelle ; il était aux quatorzième, quinzième et seizième siècles celui des mendians et gens de mauvaise vie, qui, à ces diverses époques, infestaient la bonne ville de Paris, et trouvaient dans les ruelles sombres et étroites, alors nommées Cour des Miracles, un asile assuré. Il n’est cependant pas possible d’en rien découvrir avant l’année 1427, époque de la première apparition des Bohémiens à Paris, ainsi l’on pourrait conclure de là que les premiers élémens de ce jargon ont été apportés en France par ces enfans de la basse Égypte, si des assertions d’une certaine valeur ne venaient pas détruire cette conclusion.
Sauval (Antiquités de Paris, t. 1er) assure que des écoliers et des prêtres débauchés ont jeté les premiers germes du langage argotique. (Voir Cagoux ou Archi-suppôt de l’argot.)
L’auteur inconnu du dictionnaire argotique dont il est parlé ci-dessus, (voir Abbaye ruffante), et celui de la lettre adressée à M. D***, insérée dans l’édition des poésies de Villon, 1722, exemplaire de la Bibliothèque Royale, pensent tous deux que le langage argotique est le même que celui dont convinrent entre eux les premiers merciers et marchands porte-balles qui se rendirent aux foires de Niort, de Fontenay et des autres villes du Poitou. Le docteur Fourette (Livre de la Vie des Gueux) est du même avis ; mais il ajoute que le langage argotique a été enrichi et perfectionné par les Cagoux ou Archi-Suppôts de l’Argot, et qu’il tient son nom du premier Coësré qui le mit en usage ; Coësré, qui se nommait Ragot, dont, par corruption, on aurait fait argot. L’opinion du docteur Fourette est en quelque sorte confirmée par Jacques Tahureau, gentilhomme du Mans, qui écrivait sous les règnes de François Ier et de Henri II, qui assure que de son temps le roi ou le chef d’une association de gueux qu’il nomme Belistres, s’appelait Ragot. (Voir Dialogues de Jacques Tahureau, gentilhomme du Mans. À Rouen, chez Martin Lemesgissier, près l’église Saint-Lô, 1589, exemplaire de la Bibliothèque Royale, no 1208.)
La version du docteur Fourette est, il me semble, la plus vraisemblable ; quoi qu’il en soit, je n’ai pu, malgré beaucoup de recherches, me procurer sur le langage argotique des renseignemens plus positifs que ceux qui précèdent. Quoique son origine ne soit pas parfaitement constatée, il est cependant prouvé que primitivement ce jargon était plutôt celui des mendians que celui des voleurs. Ces derniers, selon toute apparence, ne s’en emparèrent que vers le milieu du dix-septième siècle, lorsqu’une police mieux faite et une civilisation plus avancée eurent chassé de Paris les derniers sujets du dernier roi des argotiers.
La langue gagna beaucoup entre les mains de ces nouveaux grammairiens ; ils avaient d’autres besoins à exprimer ; il fallut qu’ils créassent des mots nouveaux, suivant toujours une échelle ascendante ; elle semble aujourd’hui être arrivée à son apogée ; elle n’est plus seulement celle des tavernes et des mauvais lieux, elle est aussi celle des théâtres ; encore quelques pas et l’entrée des salons lui sera permise.
Les synonymes ne manquent pas dans le langage argotique, aussi on trouvera souvent dans ce dictionnaire plusieurs mots pour exprimer le même objet, (et cela ne doit pas étonner, les voleurs étant dispersés sur toute l’étendue de la France, les mots, peuvent avoir été créés simultanément). J’ai indiqué, toutes les fois que je l’ai pu, à quelle classe appartenait l’individu qui nommait un objet de telle ou telle manière, et quelle était la contrée qu’il habitait ordinairement ; un travail semblable n’a pas encore été fait.
Quoique la syntaxe et toutes les désinences du langage argotique soient entièrement françaises, on y trouve cependant des étymologies italiennes, allemandes, espagnoles, provençales, basques et bretonnes ; je laisse le soin de les indiquer à un philologue plus instruit que moi.
Le poète Villon a écrit plusieurs ballades en langage argotique, mais elles sont à-peu-près inintelligibles ; voici, au reste, ce qu’en dit le célèbre Clément Marot, un de ses premiers éditeurs  : « Touchant le jargon, je le laisse exposer et corriger aux successeurs de Villon en l’art de la pince et du croc. »
Le lecteur trouvera marqué d’un double astérisque les mots extraits de ces ballades dont la signification m’était connue.

Delvau, 1866 : s. m. Argot. Arguche, arguce, argutie. Nous sommes bien près de l’étymologie véritable de ce mot tant controversé : nous brûlons, comme disent les enfants.

Rigaud, 1881 : Argot, avec changement de la dernière syllabe.

Rigaud, 1881 : Niais, — dans le jargon des voleurs.

France, 1907 : Argot du vieux mot argu, ruse, finesse, dont on a fait argutie.

Barbillon de Beauce

Virmaître, 1894 : Légumes. Les voleurs disent également : barbillon de Varenne pour navet. Cette dernière expression est des plus anciennes ; on lit en effet dans le dictionnaire d’Olivier Chéreau : barbillons de Varanne (Argot des voleurs).

Blague

Larchey, 1865 : Causerie. — On dit : J’ai fait quatre heures de blague avec un tel.
Blague : Verve ; faconde railleuse.

Quelle admirable connaissance ont les gens de choix des limites où doivent s’arrêter la raillerie et ce monde de choses françaises désigné sous le mot soldatesque de blague.

(Balzac)

Blague : Plaisanterie.

Je te trouve du talent, là sans blague !

(De Goncourt)

Pas de bêtises, mon vieux, blague dans le coin !

(Monselet)

Pousser une blague : Conter une histoire faite à plaisir.

Bien vite, j’pousse une blague, histoire de rigoler.

(F. Georges, Chansons)

Ne faire que des blagues : Faire des œuvres de peu de valeur.
L’étymologie du mot est incertaine. d’Hautel (1808) admet les mots blaguer et blagueur avec le triple sens de railler, mentir, tenir des discours dénués de sens commun. — Cet exemple, des plus anciens que nous ayions trouvés, ne prend blague qu’en mauvaise part. On en trouverait peut-être la racine dans le mot blaque qui désignait, du temps de ménage, les hommes de mauvaise foi (V. son dictionnaire). — M. Littré, qui relègue blague et blaguer parmi les termes du plus bas langage, donne une étymologie gaëlique beaucoup plus ancienne blagh souffler, se vanter.

Delvau, 1866 : s. f. Gasconnade essentiellement parisienne, — dans l’argot de tout le monde.
Les étymologistes se sont lancés tous avec ardeur à la poursuite de ce chastre, — MM. Marty-Laveaux, Albert Monnier, etc., — et tous sont rentrés bredouille. Pourquoi remonter jusqu’à Ménage ? Un gamin s’est avisé un jour de la ressemblance qu’il y avait entre certaines paroles sonores, entre certaines promesses hyperboliques, et les vessies gonflées de vent, et la blague fut ! Avoir de la blague. Causer avec verve, avec esprit, comme Alexandre Dumas, Méry ou Nadar. Avoir la blague du métier. Faire valoir ce qu’on sait ; parler avec habileté de ce qu’on fait. Ne faire que des blagues. Gaspiller son talent d’écrivain dans les petits journaux, sans songer à écrire le livre qui doit rester. Pousser une blague. Raconter d’une façon plus ou moins amusante une chose qui n’est pas arrivée.

Rigaud, 1881 : Mensonge, bavardage, plaisanterie, verve.

Ils (les malthusiens) demandent ce que c’est que la morale. La morale est-elle une science ? Est-elle une étude ? Est-elle une blague ?

(L. Veuillot, Les Odeurs de Paris)

M. F. Michel fait venir blague de l’allemand balg, vessie à tabac, avec transposition de l’avant-dernière lettre. M. Nisard soutient que le mot descend de bragar, braguar, qui servait à désigner soit une personne richement habillée, soit un objet de luxe. Quant à M. Littré, il le fait remonter à une origine gaélique ; d’après lui, blague vient de blagh, souffler, se vanter. Quoi qu’il en soit, le mot a été employé d’abord et propagé par les militaires, vers les premières années du siècle, dans le sens de gasconnade, raillerie, mensonge (V. Dict. de d’Hautel, 1806, Cadet Gassicourt, 1809, Stendhal, 1817). Sans remonter aussi loin, il ne faut voir dans le mot blague qu’un pendant que nos soldats ont donné au mot carotte.

France, 1907 : À un grand nombre de significations ; d’abord, mensonge, hâblerie. « Blague à part, causons comme de bons camarades que nous sommes. »

— Non, ma chérie, le bonheur n’est pas une blague, comme tu le dis, mais les gens sont idiots avec leur manière de concevoir la vie. Être heureux, qu’est-ce que cela évoque à l’esprit ? Une sensation pareille qui dure des années après des années ! Vois combien c’est inepte… L’existence est faite d’une quantité de secondes toutes différentes et qu’il s’agit de remplir les unes après les autres, comme des petits tubes en verre. Si tu mets dans tes petits tubes de jolis liquides colorés et parfumés, tu auras une suite exquise de sensations délicates qui te conduiront sans fatigue à la fin des choses… On veut toujours juger la vie humaine par grands blocs, c’est de là que vient tout le mal… Amuse la seconde que tu tiens, fais-la charmante, ne songe pas qu’il en est d’autres… Voilà comment on est heureux… le reste est de la blague.

(J. Ricard, Cristal fêlé)

Blague signifie ensuite plaisanterie, raillerie.

Le spectacle est d’autant plus curieux qu’on est les uns sur les autres et que la promiscuité y est presque forcée.
Le garçon du restaurant y blague le client qu’il servait tout à l’heure avec respect ; les souteneurs y débattent leurs petites affaires avec leurs douces moitiés au nez et à la barbe de ceux qui viennent de payer ces filles.
C’est la tour de Babel de la débauche nocturne.

(Édouard Ducret, Paris-Canaille)

C’est à l’héroïque blague, à l’irrespect du peuple de Paris, que Rochefort dut son succès. La Lanterne d’Henri Rochefort est une œuvre collective. C’est l’étincelle d’un courant. Ce courant lui était fourni par la pile immense, surchargée des mécontentements publics.

(Paul Buquet, Le Parti ouvrier)

Blague, faconde, verve, habileté oratoire.

Un homme d’esprit et de bonnes manières, le comte de Maussion, a donné au mot blague une signification que l’usage a consacrée : l’art de se présenter sous un jour favorable, de se faire valoir, et d’exploiter pour cela les hommes et les choses.

(Luchet)

Blague, causerie.

Caboulot

Larchey, 1865 : « Le caboulot est un petit café où l’on vend plus spécialement des prunes, des chinois et de l’absinthe. » — Daunay, 1861. — Une monographie des Caboulots de Paris a paru en 1862. — C’est aussi un cabaret de dernier ordre. V. Camphrier.

Delvau, 1866 : s. m. Boutique de liquoriste tenue par de belles filles bien habillées, qui n’ont pour unique profit que les deux sous du garçon.
Ce mot a une vingtaine d’années. Au début, il a servi d’enseigne à un petit cabaret modeste du boulevard Montparnasse, puis il a été jeté un jour par fantaisie, dans la circulation, appliqué à toutes sortes de petits endroits à jeunes filles et à jeunes gens, et il a fait son chemin.

Rigaud, 1881 : Débit de liqueurs servies par des femmes aimables, trop aimables. Les fruits à l’eau-de-vie et l’absinthe y tiennent le premier rang.

Mot pittoresque du patois franc-comtois, qui a obtenu droit de cité dans l’argot parisien. Il désigne un trou, un lieu de sordide et mesquine apparence, par extension petit bazar, petit café. Le caboulot de la rue des Cordiers, qui est le plus ancien de tous, s’ouvrit en 1852.

(Ces dames, 1860)

Le caboulot, c’est-à-dire le débit de la prune et du chinois, du citron confit à l’état de fœtus dans l’esprit-de-vin, le tout couronné par une femme à peu près vêtue, belle comme la beauté diabolique d’Astarté… et elle rit et elle chante et elle trinque, et elle passe ensuite derrière le rideau… et le caboulot a multiplié comme la race d’Abraham.

(Eug. Pelletan, La Nouvelle Babylone)

La Rue, 1894 : Petit débit de liqueurs.

Virmaître, 1894 : Cabaret de bas étage. Brasserie où les consommateurs sont servis par des femmes. Caboulot n’est pas juste, on devrait dire maison tolérée. Cette expression a pour berceau le quartier latin (Argot du peuple).

Rossignol, 1901 : Débit de bas étage.

Hayard, 1907 : Cabaret.

France, 1907 : Petit café où l’on vend plus spécialement des liqueurs et où l’on est généralement servi par des femmes.

Le mot, écrivait Delvau en 1880, au début, servait d’enseigne à un petit cabaret du boulevard Montparnasse, puis il a été jeté un jour, par fantaisie, dans la circulation, appliqué à toutes sortes de petits endroits à jeunes filles et à jeunes gens, et il a fait son chemin.
Les artistes ne sont pas payés par l’établissement. Après chaque chanson, ils font le tour des tables, un plateau à la main, et ce sont les clients qui rémunèrent eux-mêmes leurs distractions. Absolument comme dans les caboulots de province, avec cette différence pourtant que la chanteuse légère — oh ! oui, légère ! — ne met pas la clé de sa chambre en tombola.

Cancan

Larchey, 1865 : Danse. — Du vieux mot caquehan : tumulte (Littré).

Messieurs les étudiants,
Montez à la Chaumière,
Pour y danser le cancan
Et la Robert Macaire.

(Letellier, 1836)

Nous ne nous sentons pas la force de blâmer le pays latin, car, après tout, le cancan est une danse fort amusante.

(L. Huart, 1840)

M. Littré n’est pas aussi indulgent.

Cancan : Sorte de danse inconvenante des bals publics avec des sauts exagérés et des gestes impudents, moqueurs et de mauvais ton. Mot très-familier et même de mauvais ton.

(Littré, 1864)

Delvau, 1866 : s. m. Fandango parisien, qui a été fort en honneur il y a trente ans, et qui a été remplacé par d’autres danses aussi décolletées.

Delvau, 1866 : s. m. Médisance à l’usage des portières et des femmes de chambre. Argot du peuple.

Rigaud, 1881 : La charge de la danse, une charge à fond de train… de derrière.

La Rue, 1894 : Danse excentrique, un degré de moins que le chahut et la tulipe orageuse.

France, 1907 : Danse de fantaisie des bals publics, particulière à la jeunesse parisienne, et qui n’a d’équivalent dans aucun pays, composée de sauts exagérés, de gestes impudents, grotesques et manquant de décence. Ce fut le fameux Chicard, auquel Jules Janin fit l’honneur d’une biographie, l’inventeur de cette contredanse échevelée, qu’il dans pour la première fois dans le jardin de Mabille, sous Louis-Philippe. Il eut pour rival Balochard, et ces deux noms sont restés célèbres dans la chorégraphie extravagante. Nombre de jolies filles s’illustrèrent dans le cancan ; Nadaud les a chantées dans ces vers :

Pomaré, Maria,
Mogador et Clara,
À mes yeux enchantés
Apparaissez, chastes divinités.

Le samedi, dans le jardin de Mabille,
Vous vous livrez à de joyeux ébats ;
C’est là qu’on trouve une gaité tranquille,
Et des vertus qui ne se donnent pas.

Il faut ajouter à ces reines de Mabille, Pritchard, Mercier, Rose Pompon et l’étonnante Rigolboche, qui, toutes, eurent leur heure de célébrité. Parmi les plus fameuses, on cite Céleste Venard, surnommée Mogador, qui devint comtesse de Chabrillan, et Pomaré, surnommée la reine Pomaré, dont Théophile Gautier a tracé ce portrait :

C’est ainsi qu’on nomme, à cause de ses opulents cheveux noirs, de son teint bistré de créole et de ses sourcils qui se joignent la polkiste la plus transcendante qui ait jamais frappé du talon le sol battu d’un bal public, au feu des lanternes et des étoiles.
La reine Pomaré est habituellement vêtue de bleu et de noir. Les poignets chargés de hochets bizarres, le col entouré de bijoux fantastiques, elle porte dans sa toilette un goût sauvage qui justifie le nom qu’on lui a donné. Quand elle danse, les polkistes les plus effrénés s’arrêtent et admirent en silence, car la reine Pomaré ne fait jamais vis-à-vis, comme nous le lui avons entendu dire d’un ton d’ineffable majesté à un audacieux qui lui proposait de figurer en face d’elle.
Pomaré a eu les honneurs de plusieurs biographies. La plus curieuse est celle qui a pour titre :
   VOVAGE AUTOUR DE POMARÉ
   Reine de Mabille, princesse de Ranelagh,
   grande-duchesse de la Chaumière,
   par la grâce du cancan et autres cachuchas.
Le volume est illustré du portrait de Pomaré, d’une approbation autographe de sa main, de son cachet… et de sa jarretière — une jarretière à devise.

Le mot cancan est beaucoup plus ancien que la danse, car on le trouve ainsi expliqué dans le Dictionnaire du vieux langage de Lacombe (1766) : « Grand tumulte ou bruit dans une compagnie d’hommes et de femmes. »
La génération qui précède celle-ci, connaît, au moins pour l’avoir entendu, ce vieux refrain de 1836 :

Messieurs les étudiants
S’en vont à la Chaumière
Pour y danser l’cancan
Et la Robert-Macaire.

Nestor Roqueplan, dans des Nouvelles à la main (1841), a fait la description du cancan :

L’étudiant se met en place, les quadrilles sont formés. Dès la première figure se manifestent chez tous une frénésie de plaisir, une sorte de bonheur gymnastique. Le danseur se balance la tête sur l’épaule ; ses pieds frétillent sur le terrain salpêtré : à l’avant-deux, il déploie tous ses moyens : ce sont de petits pas serrés et marqués par le choc des talons de bottes, puis deux écarts terminés par une lançade de côté. Pendant ce temps, la tête penchée en avant se reporte d’une épaule à l’autre, à mesure que les bras s’élèvent en sens contraire de la jambe. Le [beau] sexe ne reste pas en arrière de toutes ces gentillesses ; les épaules arrondies et dessinées par un châle très serré par le haut et trainant fort bas, les mains rapprochées et tenant le devant de sa robe, il tricote gracieusement sous les petits coups de pied réitérés ; tourne fréquemment sur lui-même, et exécute des reculades saccadées qui détachent sa cambrure. Toutes les figures sont modifiées par les professeurs du lieu, de manière à multiplier le nombre des « En avant quatre ». À tous ces signes, il n’est pas possible de méconnaître qu’on danse à la Chaumière le… cancan.

Chandelle (tenir la)

Larchey, 1865 : Être placé dans une fausse position, favoriser le bonheur d’autrui sans y prendre part.

Embrassez-vous, caressez-vous, trémoussez vous, moi je tiendrai la chandelle.

(J. Lacroix)

Une chanson imprimée chez Daniel, à Paris, en 1793, — Cadet Roussel républicain, — fournit cet exemple plus ancien :

Cadet Roussel a trois d’moiselles
Qui n’sont ni bell’s ni pucelles,
Et la maman tient la chandelle.

France, 1907 : Se prêter à de honteuses complaisances, favoriser d’illicites amours. Se retirer pour laisser en tête à tête sa femme ou sa fille avec son amant. Les gens qui tiennent la chandelle sont plus communs qu’on ne le pense.

À son destin j’abandonne la belle
Et me voilà. Des esprits comme nous
Ne sont pas faits pour tenir la chandelle.

(Parny)

Chef de calotte

Fustier, 1889 : « Dans les pensions militaires, on appelle chef de calotte le plus ancien et le plus élevé en grade des officiers qui mangent ensemble… »

(H. Malot, Le lieutenant Bonnet)

Chic

Larchey, 1865 : Élégance.

Vous serez ficelé dans le chic.

(Montépin)

L’officier qui a du chic est celui qui serre son ceinturon de manière à ressembler à une gourde.

(Noriac)

À l’École de Saint-Cyr, sous le premier Empire, chic était déjà synonyme d’Élégance militaire. Une esquisse qui a du chic a un bon cachet artistique.

Il lui révéla le sens intime de l’argot en usage cette semaine-là, il lui dit ce que c’était que chic, galbe.

(Th. Gautier, 1838)

Une tête faite de chic, tout au contraire, n’a rien de sérieusement étudié. ici, chic est à l’art ce que ponsif est à la littérature.

C’étaient là de fameux peintres. comme ils soignaient la ligne et les contours ! comme ils calculaient les proportions ! ils ne faisaient rien de chic ou d’après le mannequin.

(La Bédollière)

Chic, quelquefois, veut dire mauvais genre, genre trop accusé.

C’était ce chic que le tripol colle à l’épiderme des gens et qui résiste à toute lessive comme le masque des ramoneurs.

(P. Féval)

Chic est, on le voit, un mot d’acceptions fort diverses et fort répandues dans toutes les classes. — Vient du vieux mot Chic : finesse, subtilité. V. Roquefort. — C’est donc, mot à mot, le fin du fin en tout genre, et les exemples les plus anciens confirment cette étymologie, car ils prennent tous chic en ce sens.

Delvau, 1866 : s. m. Goût, façon pittoresque de s’habiller ou d’arranger les choses, — dans l’argot des petites dames et des gandins. Avoir du chic. Être arrangé avec une originalité de bon — ou de mauvais — goût. Avoir le chic. Posséder une habileté particulière pour faire une chose.

Delvau, 1866 : s. m. Habileté de main, ou plutôt de patte, — dans l’argot des artistes, qui ont emprunté ce mot au XVIIe siècle. Faire de chic. Dessiner ou peindre sans modèle, d’imagination, de souvenir.

La Rue, 1894 : Distinction, élégance, cachet. Facilité banale ou bon goût en art. Signifie aussi mauvais genre en art.

Virmaître, 1894 : Il a du chic, il est bien.
C’est une femme chic, un beau porte-manteau, sa toilette est bien accrochée. L’origine de cette expression n’est pas éloignée. Un ministre de l’Empire, habitué des coulisses de l’Opéra, envoya deux danseuses du corps de ballet souper à ses frais chez le restaurateur Maire. Très modestes, elles ne dépensèrent à elles deux que quinze francs. Quand le ministre demanda la note, il lit la moue. Le soir même il leur en lit le reproche et leur dit : Vous manquez de chic, pas de chic. Quelques jours plus tard il renvoya deux autres danseuses souper au même restaurant. Elles dépensèrent cinq cents francs. Quand il paya il lit une grimace sérieuse : Trop de chic, trop de chic, fit-il. Le mot fit fortune dans les coulisses et est resté (Argot des filles).

Coësré

Vidocq, 1837 : s.m. — À chaque pas que l’on faisait dans l’ancien Paris, on rencontrait des ruelles sales et obscures qui servaient de retraite à tout ce que la capitale renfermait de vagabonds, gens sans aveu, mendians et voleurs. Les habitans nommaient ces réduits Cours des Miracles, parce que ceux des mendians qui en sortaient le matin pâles et estropiés, pour aller par la ville solliciter la charité des bonnes âmes, se trouvaient frais et dispos lorsque le soir ils y rentraient.
Le premier de ces asiles, ou Cours des Miracles, qui soit cité par les auteurs qui ont écrit l’histoire et la monographie de la capitale, est la rue du Sablon, dont aujourd’hui il ne reste plus rien ; cette rue, qui était située près l’Hôtel-Dieu, fut fermée en 1511 à la requête des administrateurs de l’hôpital, « pour qu’elle ne servit plus de retraite aux vagabonds et voleurs qui y menaient une vie honteuse et dissolue. »
Cette rue, dès l’an 1227, servait de retraite à ces sortes de gens. Étienne, doyen de Notre-Dame, et le chapitre de Paris, ne voulurent consentir à l’agrandissement de l’hôpital, qu’à la condition expresse qu’il ne serait point fait de porte à la rue du Sablon, du côté du Petit Pont : « De peur que les voleurs qui s’y réfugiaient ne se sauvassent, par cette rue, chargés de leur butin, et que la maison de Dieu ne servit d’asile à leurs vols et à leurs crimes. »
La rue de la Grande Truanderie, fut, après celle du Sablon, la plus ancienne Cour des Miracles ; son nom lui vient des gueux et fripons, qu’à cette époque on nommait truands, qui l’ont habitée primitivement ; la troisième fut établie, vers l’année 1350, dans la rue des Francs-Bourgeois, au Marais. Ce n’est que lorsque la population des gueux eut pris un certain accroissement, qu’ils se répandirent dans les cours : du roi François, près la rue du Ponceau ; Sainte-Catherine, rue de la Mortellerie ; Brisset, Gentien, Saint-Guillaume, puis enfin, Cour des Miracles. Sauval rapporte que de son temps, les rues Montmartre, de la Jussienne, et circonvoisines, étaient encore habitées par des individus mal famés et de mauvaises mœurs. « La Cour des Miracles, dit-il ailleurs, était encore habitée par plus de cinq cents misérables familles ; on voulut, ajoute-t-il, détruire ce cloaque, mais les maçons qui commençaient leurs travaux furent battus et chassés par les gueux, et l’on ne put rien y faire. »
On est étonné, sans doute, de voir dans une ville comme Paris, une aussi formidable assemblée de fripons, cependant rien n’est plus concevable. La police, à cette époque, n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, et s’il faut croire ce que rapporte Louis Vervin, avocat à Paris, dans son ouvrage publié en 1622, intitulé : l’Enfer des Chicaneurs, elle se faisait d’une singulière manière : « Les sergens, dit-il, courent partout pour trouver des coupables, mais s’ils prennent des voleurs, ils les relâchent aussitôt que ceux-ci leur donnent de l’argent. » Ce n’était pas seulement l’incurie de l’administration qui avait donné naissance à la formidable corporation dont le grand Coësré était le chef, le mal avait pris naissance dans l’organisation même de l’État, et dans les événemens du temps. Jusqu’au règne de Louis XI, il n’y eut pas en France d’armée nationale ; le roi avait les archers de sa garde et ses gentilshommes : c’était là tout ; seulement, lorsque la guerre était déclarée, les vassaux de la couronne conduisaient leur contingent au secours du roi, et la campagne terminée, chacun s’en retournait dans ses foyers ; mais les serfs, ou gens de mainmorte, qui avaient acquis dans les camps une certaine expérience, ne se souciaient pas toujours de retourner sur les terres de leurs seigneurs, où ils étaient taillables et corvéables ; ils se débandaient, abandonnaient la bannière, et ceux qui n’allaient pas se joindre aux compagnies franches, qui, à tout prendre, n’étaient en temps de paix que des compagnies de brigands organisés, venaient chercher un asile dans les grandes villes, et principalement dans Paris, où ils se réunissaient aux bohémiens qui y étaient venus en 1427, aux mauvais sujets des universités, aux vagabonds, aux filous, qu’ils ne tardaient pas à imiter. La corporation, par la suite, devint si formidable, qu’elle eut pendant un laps de temps assez long, ses franchises et ses privilèges ; on pouvait bien, lorsqu’on l’avait attrapé, pendre un truand ou un mauvais garçon, mais un archer du guet, à pied ou à cheval, ne se serait pas avisé d’aller le chercher dans une Cour des Miracles, ces lieux étaient des asiles interdits aux profanes, et dont les habitans avaient une organisation pour ainsi dire sanctionnée par la police du temps. Le roi des Argotiers ou de l’Argot, le chef suprême des Courtauds de boutanche, Malingreux, Capons, Narquois, etc., avait une part d’autorité pour le moins aussi belle que celle du prévôt de Paris, part d’autorité que ce dernier avait été, pour ainsi dire, obligé de céder à la force.

Feuille à l’envers (voir la)

Larchey, 1865 : « Sitôt, par un doux badinage, Il la jeta sur le gazon. Ne fais pas, dit-il, la sauvage ; Jouis de la belle saison. Ne faut-il pas dans le bel âge Voir un peu la feuille à l’envers ? » — Cet exemple est pris dans la 177e Contemporaine de Rétif (édit. 1783) ; mais la chanson est plus ancienne, car ses auditeurs ajoutent dans le texte : Charmante quoique vieille !

Rigaud, 1881 : S’asseoir avec une dame, à la campagne, au pied d’un arbre, et deviser des choses les plus tendres à la manière de Jasion et de Cérès.

Attendez-moi, n’avez-vous jamais vu les feuilles à l’envers ?

(Ane. Théâtre Italien.)

France, 1907 : Un couplet de Restif de la Bretonne donne l’explication de cette expression. La scène se passe entre le berger Colinet et la bergère Lisette :

Sitôt par un doux badinage
Il la jeta sur le gazon.
— Ne fais pas, dit-il, la sauvage,
Jouis de la belle saison.
Pour toi le tendre amour m’engage
Et pour toi je porte ses fers ;
Ne faut-il pas, dans le jeune âge,
Voir un peu de feuille à l’envers ?

En voici un autre de Théodore Hannon :

Dans l’herbe en pleurs mon pied s’emperle,
J’ai des éblouissements verts
La feuille implacablement brille,
Et, railleur, le merle me trille :
Viens-t’en donc la voir à l’envers !

(Rimes de joie)

On peut p’us, à la campagne,
Au fond des bois verts,
Aller voir, près d’sa compagne,
La feuille à l’envers,
On peut p’us prendr’ pour banquette
L’gazon tout crotté.
Sans se mouiller la jaquette !
Qué cochon d’été !

(Jules Jouy)

Fier comme un Écossais

France, 1907 : Cette expression, à peu près hors d’usage, ne regarde pas la nation en général, mais seulement les archers de la garde écossaise que Louis XI avait comblés de faveurs. Cette compagnie était devenue la plus ancienne des quatre qui composaient la garde du corps de nos rois, ceux qui en faisaient partie continuèrent à se regarder comme supérieurs aux autres ; de la le dicton.

Mais d’aultres pays sont ici venuz ne scavons quels oultrecuydez, fiers comme Escossays.

(Rabelais)

On dit plus communément : fier comme Artaban.

Mannezingue

Delvau, 1866 : s. m. Cabaret ; marchand de vin, — dans l’argot des faubouriens, qui n’emploient ce mot que depuis une trentaine d’années. On dit aussi Minzingouin et Mannezinguin.
Voilà un mot bien moderne, et cependant les renseignements qui le concernent sont plus difficiles à obtenir que s’il s’agissait d’un mot plus ancien. J’ai bien envie de hasarder ma petite étymologie : Mannsingen, homme chez lequel on chante, le vin étant le tirebouchon de la gaieté que contient le cerveau humain.

La Rue, 1894 / Rossignol, 1901 : Marchand de vin.

France, 1907 : Marchand de vin : c’est-à-dire homme du zing : man-zing, à moins qu’il ne faille s’en rapporter à l’étymologie donnée par Delvau, qui ferait de mannezingue un mot tout à fait germanique : Mannsingen, homme chez lequel on chante, le vin étant, dit-il, Le tire-bouchon de la gaieté que contient le cerveau humain.

Les mannezingues ont toutes les audaces.
L’un d’eux, l’autre jour, dans le quartier Montmartre, voulant se donner tout le temps nécessaire pour faire des mouillages abondants, a pris le parti de fermer sa boutique.
Et les passants ont pu lire ces mots écrits à la craie sur la devanture :
« Fermé pour cause de baptême. »

(Le Journal)

J’suis républicain socialisse,
Compagnon, radical ultra,
Révolutionnaire, anarchisse,
Eq’cœtera… eq’cœtera…
Aussi j’vas dans tous les métingues,
Jamais je n’rate un’ réunion.
Et j’pass’ mon temps chez les mann’zingues
Oùs qu’on prêch’ la révolution.

(Aristide Bruant)

Moyenâgeux, moyenâgiste

France, 1907 : Artiste ou écrivain qui traite du moyen âge. Tableau ou écrit qui rappelle les sombres couleurs de ce que les ignorants appellent le bon vieux temps, qui était celui des cruautés et des superstitions.

Je n’ai connu vraiment que M. Barbey d’Aurevilly qui ait eu cette fierté d’esprit et cette indépendance de caractère. Mais M. d’Aurevilly l’avait à l’espagnole, un peu campé à la façon d’un premier rôle, le jarret tendu et le poing sur la hanche, avec je ne sais quoi de mélodramatique et de moyenâgeux, qui l’ont fait surnommer le Connétable des lettres ; ses mots à l’emporte-pièce, ses saillies cruelles et ses fantaisies imprévues avaient toutes comme un panache dix-huit cent trente ; son verbe exagéré et violent se pavanait pour ainsi dire dans le pourpoint de velours cramoisi de Théophile Gautier à la première d’Hernani.

(Jean Lorrain)

Dans le but de ressembler à une femme du vieux peintre Botticelli, Mlle Estelle (qui enrage de s’appeler Estelle, un nom bourgeois et mil huit cent trente) est une jeune personne tout à fait moderniste : or le modernisme consiste, comme vous le savez, à copier tout ce qu’on peut trouver de plus ancien. Le comble du modernisme, c’est de faire des pastiches de Villon et de les débiter dans des cabarets moyenâgeux.

(Simon Boubée, Le Testament d’un martyr)

Pègre (haute)

Vidocq, 1837 : Le plus fécond de nos romanciers, celui qui sait le mieux intéresser ses lecteurs au sort des héros qu’il met en scène, parle, dans une de ses dernières publications (le Père Goriot), d’une association de malfaiteurs qu’il nomme la Société des Dix Mille, parce que tous ses membres se sont imposé la loi de ne jamais voler moins de 10,000 francs. La Société des Dix Mille n’abandonne jamais celui de ses affiliés qui est toujours resté fidèle au pacte d’association. Tout en donnant carrière à son imagination, le spirituel romancier semble n’avoir voulu parler que de la Haute Pègre.
La Haute Pègre, en effet, est l’association des voleurs qui ont donné à la corporation des preuves de dévouement et de capacité, qui exercent depuis déjà long-temps, qui ont inventé ou pratiqué avec succès un genre quelconque de vol. Le Pègre de la Haute ne volera pas un objet de peu de valeur, il croirait compromettre sa dignité d’homme capable ; il ne fait que des affaires importantes, et méprise les voleurs de bagatelles auxquels ils donnent les noms de Pégriot, de Pègre à marteau, de Chiffonnier, de Blaviniste.
L’association des Pègres de la Haute a ses lois, lois qui ne sont écrites nulle part, mais que cependant tous les membres de l’association connaissent, et qui sont plus exactement observées que celles qui régissent l’état social. Aussi le Pègre de la Haute qui n’a pas trahi ses camarades au moment du danger n’est jamais abandonné par eux, il recoit des secours en prison, au bagne, et quelquefois même jusqu’au pied de l’échafaud.
On rencontre partout le Pègre de la Haute, chez Kusner et au café de Paris, au bal d’Idalie et au balcon du théâtre Italien ; il adopte et il porte convenablement le costume qui convient aux lieux dans lesquels il se trouve, ainsi il sera vêtu, tantôt d’un habit élégant sorti des ateliers de Staub ou de Quatesous, tantôt d’une veste ou seulement d’une blouse. Le Pègre de la Haute s’est quelquefois paré des épaulettes de l’officier-général et du rochet du prince de l’église ; il sait prendre toutes les formes et parler tous les langages : celui de la bonne compagnie comme celui des bagnes et des prisons.
Quoique le caractère des hommes soit, à très peu de chose près, toujours le même, les associations de voleurs ne sont plus aujourd’hui ce qu’elles étaient autrefois. La Haute Pègre, maintenant, n’est guère composée que d’hommes sortis des dernières classes de la société, mais jadis elle comptait dans ses rangs des gens très-bien en cour. La plupart d’entre eux, placés par leur position au-dessus des lois, se faisaient une sorte de gloire de la braver. « L’administration de la justice, dit Dulaure dans ses Essais sur Paris, faible et mal constituée, accessible à la corruption et à tous les abus, tentait de réparer d’une main les abus qu’elle faisait naître de l’autre ; une législation vague et incertaine laissait un champ vaste à l’arbitraire, et, à la faveur des formes compliquées de la procédure, la chicane et la mauvaise foi pouvaient manœuvrer sans péril.
Le hasard de la naissance tenait lieu de génie, de talens et de vertus ; dépourvus de ces qualités, le noble n’en était pas moins honoré ; doué de ces qualités, le roturier n’en était pas moins avili.
Tant de germes de corruption, des institutions vicieuses et sans force pour lutter avec avantage contre les passions humaines, encouragées par l’intérêt du gouvernement, ne pouvaient qu’égarer l’opinion et pervertir la morale publique. »
Aussi, dit l’auteur de la Pourmenade du Pré aux Clercs, ouvrage publié en 1622, « des vols et assassinats très-multipliés se commettent, non-seulement la nuit, mais encore en plein jour, à la vue de la foule qui ne s’en étonne pas. »
Bussi Rabutin (Mémoires secrets, tome 1er, page 22) raconte qu’étant à Paris, deux filoux de qualité, le baron de Veillac de la maison de Benac, et le chevalier d’Andrieux, ayant appris qu’il avait reçu 12,000 livres pour faire les recrues de son régiment, vinrent en armes, pendant la nuit, entrèrent dans sa chambre par la fenêtre et lui en volèrent une partie ; ces Messieurs auraient, dit-il, volé le tout si la peur ne les avait fait fuir.
L’époque à laquelle Bussi Rabutin écrivait ses Mémoires, fut, sans contredit, l’âge d’or de la Haute Pègre : les temps sont bien changés ; les derniers membres renommés de la Haute Pègre, les Cognard, les Collet, les Gasparini, les Beaumont, sont morts depuis déjà longtemps, et n’ont pas laissé de dignes successeurs.
Il serait à peu près inutile de chercher à moraliser les membres de la Haute Pègre, ils volent plutôt par habitude que par besoin ; ils aiment leur métier et les émotions qu’il procure ; captifs, leur pensée unique est de recouvrer la liberté pour commettre de nouveaux vols, et leur seule occupation est de se moquer de ceux de leurs compagnons d’infortune qui témoignent du repentir, et manifestent l’intention de s’amender.
Plusieurs nuances distinguent entre eux les membres de la Haute ; la plus facile à saisir est, sans contredit, celle qui sépare les voleurs parisiens des voleurs provinciaux ; les premiers n’adoptent guère que les genres qui demandent seulement de l’adresse et de la subtilité : la Tire, la Détourne, par exemple ; les seconds, au contraire, moins adroits, mais plus audacieux, seront Cambriolleurs, Roulottiers ou Venterniers ; les parisiens fournissent généralement la masse de la population des maisons centrales, les provinciaux fournissent celle des bagnes. Quoi qu’il en soit, les uns et les autres ne pêchent pas par ignorance : les Pègres de la Haute sont tous d’excellents jurisconsultes, ils ne procèdent, pour ainsi dire, que le Code à la main.
Celui d’entre eux qui a adopté un genre de vol, renonce plus difficilement au métier que celui qui les exerce tous indifféremment, et cela peut facilement s’expliquer : celui qui ne pratique qu’un genre acquiert bientôt une telle habileté qu’il peut, en quelque sorte, procéder impunément ; cela est si vrai, que l’on n’a dû qu’à des circonstances imprévues l’arrestation de la plupart des Pègres de la Haute qui ont comparu devant les tribunaux.
J’ai dit plus haut que maintenant la plupart des Pègres de la Haute sortaient des dernières classes de la société, cela n’empêche pas qu’ils ne se piquent d’être doués d’une certaine grandeur d’âme et de beaucoup d’amour-propre ; lorsque les Jambe d’argent, les Capdeville, qui à une certaine époque étaient les premiers de la corporation, après s’être introduits à l’aide de fausses clés ou d’effraction dans un appartement qu’on leur avait indiqué, trouvaient dans les meubles qu’ils avaient brisés des reconnaissances du Mont-de-Piété ou quelques autres papiers qui indiquaient que la position de celui qu’ils voulaient voler n’était pas heureuse, ils avaient l’habitude de laisser, sur le coin de la cheminée tout l’or qu’ils avaient en poche, comme réparation du dommage qu’ils avaient causé ; plusieurs Tireurs donnaient au premier venu la montre qu’ils venaient de voler si elle n’était pas d’or.

Larchey, 1865 : « Association des voleurs les plus anciens et les plus exercés ; ils ne commettent que de gros vols et méprisent les voleurs ordinaires qui sont appelés dérisoirement pégriots, chiffonniers, pègre à marteau, ou blaviniste, par un pègre de la haute. » — Vidocq.

La première catégorie de voleurs se compose de la haute pègre, c’est-à-dire le vol en bottes vernies et en gants jaunes. C’est un homme jeune, élégant, distingué ; vous ne le rencontrerez qu’en coupé… Deux ou trois fois par an, il travaille, mais ses expéditions sont toujours fructueuses.

(Canler)

Petit-pont (plus bavard qu’une harengère du)

France, 1907 : Le Petit-Pont dont ce vieux dicton fait mention était le plus ancien de Paris et servait de communication entre la Cité et le quartier Saint-Jacques. On le nommait Petit-Pont pour le distinguer du Grand Pont (le Pont au change) sur le grand bras de la Seine. Le Petit-Pont, devenu le pont Saint-Michel, était garni de chaque côté par les étalages des marchandes de poisson, qui clamaient à qui mieux mieux les mérites de leurs marchandises, appelaient les passants, s’apostrophaient entre elles, enfin faisaient un bruit étourdissant ; d’où le dicton.

Photographe

Rossignol, 1901 : Aide de l’exécuteur qui tient par les oreilles la tête du condamné, lorsqu’il a le cou dans la lunette de la guillotine ; il tire dessus de façon qu’il ne la rentre pas dans les épaules, et que le couteau lui tombe sur le cou. L’aide qui fait habituellement le photographe est en activité depuis quarante ans, ayant débuté à l’âge de 16 ans. Il était précédemment exécuteur en Corse. Il y avait à une époque un bourreau par cour d’appel et, lors de leur suppression, il vint comme aide à Paris où il construisit les guillotines actuelles, les anciennes ayant été brûlées en 1871. Étant le plus ancien et le seul de première classe, il comptait sur la succession de Deibler qui lui revenait de droit, mais le ministre de la Justice a jugé à propos de nommer le plus jeune, arrivé, il y a six ans, d’Algérie, où il était aide de l’exécuteur Rasenœud [NDLR : Rasseneux], nom prédestiné.

Prévôt

Vidocq, 1837 : s. m. — La place de Prévôt appartient de droit au plus ancien détenu. Il y en a ordinairement un par chambrée ou par corridor. Il est chargé par l’administration de veiller à la propreté de son quartier, et de remettre à chaque prisonnier la ration de pain qui lui est allouée, et les prisonniers lui accordent le droit d’exiger des arrivans une certaine rétribution nommée bienvenue, dont il dispose à son gré.
Les voleurs émérites, les évadés du bagne ou des prisons étaient autrefois si vénérés de leurs compagnons de moindre importance que, lorsqu’ils arrivaient en prison, et que le Prévôt en exercice leur demandait la bienvenue, ils se contentaient de répondre : Je suis un garçon, un homme de peine, un fagot, un cheval de retour. À l’audition d’un de ces mots, le Prévôt en exercice remettait ses droits à l’arrivant ; les prisonniers se cotisaient, alors le vin coulait à flots, chacun racontait son histoire, et les plus criminels étaient les plus applaudis.
Lorsqu’un voleur en renom arrive au bagne, il a le droit de choisir la meilleure place du banc (lit de camp), les braves garçons (les bons voleurs) lui apportent tous les petits objets nécessaires à un forçat ; ils dégarnissent leur serpentin (matelas) pour améliorer celui du nouveau venu. Lorsque les Beaumont, les Goras, les Jambe-d’Argent, les Fossard, les Noël aux Bésicles arrivaient à Brest ou à Toulon, des souscriptions volontaires étaient aussitôt ouvertes en leur faveur.
Les argousins, les comes et sous-comes avaient pour ces hommes une sorte de respect, et des égards qu’ils n’accordaient ni aux voleurs de bas étage, ni à ceux qui expiaient un délit de peu d’importance.

Halbert, 1849 : Domestique de prison ou plus ancien de chambrée.

Delvau, 1866 : s. m. Chef de chambrée, — dans l’argot des prisons.

Rigaud, 1881 : Chef de chambrée dans une prison.

Saint-Épissoir

France, 1907 : Fête des gabiers célébrée dans toute la flotte dans les premiers jours de janvier. L’épissoir est un petit poinçon dont se servent les gabiers pour aller à des hauteurs vertigineuses et par tous les temps larguer ou carguer les voiles. Ayant vainement cherché dans le calendrier un saint de leur profession pour célébrer sa fête, ils imaginèrent la Saint-Épissoir. D’après Paul Dhormois, ce seraient les gabiers de la Pénélope, frégate alors à l’ancre dans la rade de Fort-de-France (Martinique), qui, jaloux de voir les canonniers fêter la Sainte Barbe, eurent l’idée géniale de se donner un saint.

— Ah çà ! s’écria tout à coup Languidie, le plus ancien des quartiers-maîtres, pourquoi que nous n’aurions pas aussi notre fête, nous autres gabiers, qui sommes, sans nous vanter, un peu autre chose que de simples canonniers ?
— Est-ce que tu t’imagines qu’il y a un saint Épissoir, comme il y a une sainte Barbe ? répondit le chef de timonerie.
— Pourquoi pas ? Ce serait violent, par exemple, que l’épissoir ne pût pas avoir un patron aussi bien que le refouloir ou l’écouvillon ! Crois-tu que lorsque les saints du Paradis ont pris chacun un état sous leur protection, ils ont oublié le plus noble de tous, celui de gabier ?

(Paul Dhormois, Sous les Tropiques)


Argot classique, le livreTelegram

Dictionnaire d’argot classique